CULTURI ROMAN Expédition ensorcelante C'EST COMME SI NOUS ÉTIONS IMMERGÉS dans des carnets de notes, sans l'impression qu'une pensée rationnelle a tenté a posteriori d'organiser la matière recueillie. A travers de courts textes faisant office de brefs chapitres tous nommés (Comtemplation, Bottes fourrées, Jeux d'alliance, Lièvre, Marche avec T., Etemité, Refuge rouge, Le Papillon...), la narratrice décrit avant tout des sensations et le rapport complexe, physique autant qu'imaginaire, qui nous lie au monde et à l'espace. Quatre architectes paysagistes, dont la narratrice, ont embarqué sur un voilier pour une expédition de quarante jours dans le Grand Nord. Avec le capitaire et son second, ils sont donc six à bord. On n'en saura pas beaucoup sur les personnages, ni d'où ils viennent ni qui ils sont vraiment. Chaque texte fonctionne comme l'instantané d'un moment, où s'agrègent descriptions de paysages, considérations météo, détails de la vie quotidienne à bord (le sommeil, la nourriture, les manoeuvres...) et des escales sur le sol mousseux de la toundra, ainsi que des infos factuelles, délivrées sobrement, sur l'état émotionnel des relations au sein du groupe. Ce n'est pas rien de voyager à la voile dans un environnement naturel aussi immense et d'être livrés dans le même temps au huis clos d'un espace réduit qui peut se révéler toxique. Ainsi se cherchent les mots qui disent la somptuosité mais aussi l'hostilité d'une nature qui se suffit à elle-même et dont la radicale étrangeté ne se laisse jamais entamer, et ceux qui racontent l'autre énigme absolue, les sentiments entre humains ; qu'il s'agisse de la domination d'un capitaine irascible, de la complicité-rivalité entre deux femmes, des tentatives d'amitié hommefemme, de ce que veut dire partager une expérience comme un voyage en milieu extrême... La narratrice aime courir, ce qui l'aide à encaisser les déceptions et les paranos inhérentes à la vie de groupe. Elle s'entraîne aussi à se baigner dans l'eau glacée. Elle pêche des cliones, des ombles. Elle découvre des cabanes. Elle apprend à faire du pain et à nettoyer le poisson. Elle croise un beluga, un narval, du pavot velu et de la saxifrage, rêve de saules nains et de bouleaux blancs, et des "peuples qui habitent au-delà de la limite des arbres". Elle a froid, et peur, de manquer, de se perdre, de ne plus savoir le sens d'être là. La vastitude polaire Anne-phis Subilla Neiges intérieures I peut dégager une solitude hantée. Soudain, souvent, jaillit une phrase dont la poésie, coupante comme les pierres gelées, relance le désir de vivre, d'écrire, et la curiosité pour le dépaysement. Chaque chapitre est un puzzle, avec des pièces qui ont l'air étrangères les unes aux autres et pourtant s'emboîtent. Un roman sensoriel, qui exprime la puissance romanesque du voyage. Neiges intérkures, Anne-Sophie Subilia, éd. Zoé, 160 p., 16 € . Un récit de voyage poétique et sensoriel dans le Grand Nord, qui explore l'étrangeté aussi bien de la nature que des humains. Par Isabelle Potel 58/AIR FRANCE MADAME Of nature and human nature A POETIC RECOUNTING OF AN ARCTIC EXPEDITION EXPLORES THE PECULIARITIES OF ANIMALS, PLANTS AND PEOPLE. Anne-Sophie Subilia's new nove) takes the formof a logbook, or rather a series of excerpts from logbooks. In a rapid-fire succession of short chapters, the narrator plumbs the complex relation, as much tangible as imaginary, that links us to the physical world. In Inner Snows (available in French), four landscape architects, two men and two women, take off on a sailboat for a 40-day expedition to the Arctic, accompanied only by the captain and one deckhand. Revealing little else about the characters (their full names, where they corne from...), each section captures a single moment : a description of the landscape, of the weather, of life on board, a port of call, or the emotional state of a group of people caught between the immensity of the far north and the spartan confinement of a small vessel. Gradually a narrative emerges, on the beauty and hostility of nature and the eternal enigma of human interactions, from the captain's domineering ways to relations between the sexes and the meaning of sharing an extreme adventure. The narrator finds respite from the group's machinations by going for runs, swimming in the icywater, fishing, learning to bake bread... She reports spotting beluga and narwhal whales, poppy and saxifrage plants, while dreaming of dwarf willows, white birches and "the populations living beyond the timberline." The polar vastnessinduces trepidation, a kind of haunted solitude. Then suddenly cornes a sentence whose incisive, lyrical beauty renews the desire to embrace life and the world. Each chapter is a piece of a puzzle that ultimately fits together, expressing the evocative power of great journeys. o o |