C UL TURE R O MA N L’aura de l’art NATHALIE OBADIA A CRÉÉ SA PREMIÈRE GALERIE d’art contemporain à Paris en 1993 puis une antenne à Bruxelles en 2008, et donne un cours sur le marché de l’art contemporain à Sciences-Po depuis 2015. Cet essai est d’une clarté bienvenue, éclaircissant des enjeux qui semblent souvent bien mystérieux. Si le marché mondial affiche des chiffres colossaux (63 milliards de dollars en 2017), c’est que les Etats qui comptent sur l’échiquier international ont besoin d’accompagner leur puissance politique d’un rayonnement culturel, d’un message prosélyte sur les valeurs qu’ils défendent. La France, centre des avant-gardes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, fut ensuite détrônée par l’Amérique diffusant son «soft power» pour accompagner son leadership «messianique». L’Abstract Expressionnism (dont Jackson Pollock sera le porte-drapeau) intronise un âge d’or américain dans les années 1950, suivi du pop art dans les années 1960. L’Allemagne (Georg Baselitz, Joseph Beuys, Gerhard Richter) réussit à recréer une scène artistique dynamique (Documenta en 1955) en faisant équipe avec les Etats-Unis, duopole que l’Angleterre viendra perturber dans les années 1980 (Damien Hirst), Londres faisant aujourd’hui concurrence à New York comme place de validation du marché de l’art. La France pendant ce temps cultive sa différence avec un art conceptuel, très intello, qui apparaît parfois trop élitiste. Daniel Buren, César, Arman, Georges Mathieu, Pierre Soulages, Martial Raysse, Christian Boltanski… Aucun artiste français ne rivalise avec Andy Warhol ou Beuys. Il faudra attendre l’ouverture du Centre Pompidou en 1977 pour que la France sorte d’un certain isolement… En Asie, la Chine certes monte en puissance mais la nature autoritaire du régime entrave la liberté artistique. Quant à la scène africaine, elle est surtout représentée à l’étranger par des collections «externalisées». La scène US, qui a su mettre en avant ses minorités, femmes et artistes africains-américains en tête (Jean-Michel Basquiat, Julie Mehretu, Mark Bradford…), demeure la plus influente sur la planète. Nathalie Obadia décrit le rôle des collectionneurs dans un pays où la philantropie est un devoir patriotique. Plus généralement, elle souligne l’importance des marchands, des galeries, des foires (Art Basel, la FIAC, Frieze…) qui structurent le marché (mais créent aussi un effet d’uniformisation), des ventes aux enchères et bien sûr des musées, figures de proue confrontées aujourd’hui à de multiples défis (financement, enjeux géopolitiques, implication sociétale…). Soit une image détaillée de ce marché de l’art globalisé, encore dominé par les valeurs occidentales mais appelé à évoluer, sous l’effet notamment des revendications nouvelles sur l’appropriation culturelle. Géop olitique de l’art contemp orain-Une remise en cause de l’hég émonie américaine ?, Nathalie Obadia, éd. Le Cavalier bleu, 190 p., 19 € . Dans un essai rigoureux, la galeriste Nathalie Obadia montre que l’art contemporain est un outil d’influence majeur pour les Etats, et décrit une scène mondiale dominée par le «sot power » US. Par Isabelle Potel 9 0/A I R F R A N CE M A DA M E T h e l i ne s a r e d r a w n IN A FINELY HONED ESSAY, A GA LLERY OW NER REV EA LS HOW CONT EMPORA RY A RT BECOMES A TOOL OF GEOPOLIT ICA L INFLUENCE. In addition to operating galleries in Paris and Brussels, Nathalie Obadia teaches a course on the art market at one of France’s most prestigious universities. Her new book, The Geopolitics of Contemporary Art (available in French) sheds light on a rarely discussed aspect of the art business : one of the reasons that the market has grown to such outlandish proportions (totaling $63 billion in 2017) is that the world powers need to back their political might with cultural influence. France was the home of the avant-garde until World War II, when the center shifted to the United States. Abstract expressionism, epitomized by Jackson Pollock, spawned an American golden age in the 1950s, followed by pop art in the 60s. Germany succeeded in recreating a dynamic art scene (Baselitz, Beuys, Richter) in partnership with the U.S., a duality that the United Kingdom rivaled in the 1980s (Damien Hirst). France, meanwhile, cultivated its own niche with highly intellectual and conceptual art (Daniel Buren, César, Arman, Christophe Boltanski…), but no French artist has built a reputation to match that of Warhol or Beuys. China is undeniably gaining momentum, but the government’s authoritarian policies are an obstacle to artistic freedom. To this day, the U.S. wields the most clout. Obadia describes the role of collectors in a country where philanthropy is seen as a patriotic duty, and the importance of auctions, fairs (Art Basel, Frieze…) and of course museums, which remain at the forefront despite many challenges (funding, social engagement…). The author paints a detailed portrait of a globalized market still dominated by Western values but destined to evolve, in particular due to new imperatives concerning cultural appropriation. RESSE P HOTO P |