C UL TURE R O MA N Géologie des sentiments SI LE ROMAN HISTORIQUE est une catégorie en soi, on ne parle jamais de « roman géographique ». La géographie n’est pas censée pouvoir dégager un levain romanesque aussi puissant que l’Histoire. Dans ce troisième opus, Elisabeth Filhol, dont le premier roman racontait une centrale nucléaire (La Centrale, 2010), prouve le contraire de manière tout à ait magistrale. Tout commence alors que la tempête Xaver, qui a rappé le Nord de l’Eu- rope en décembre 2013, s’approche de l’Angleterre et qu’un responsable du Met Ofce surveille, à travers une multitude d’écrans de contrôle, « la mer du Nord qui lève une houle comme on lève une armée ». Après plusieurs pages météorologiques d’une grande beauté, il envoie un texto à sa sœur pour lui conseiller de renoncer à aller à un congrès au Danemark. Voici donc l’Anglaise Margaret, géologue, qui vit avec son mari à Saint Andrews, la plus vieille cité universitaire d’Angleterre, et qui est en train de penser à un ami et amour de jeunesse perdu de vue, dont elle sait qu’il sera présent à ce congrès. Dans l’esprit de Margaret aussi une tempête menace. Faut-il exhumer cette relation ? L’ironie étant que le travail de Margaret consiste à extraire, du passé, de l’oubli, des couches de sédimentation accumulées au fl des millénaires, une île où vécurent des humains il y a 6 000 ans, avant qu’elle ne soit engloutie suite aux ontes successives du glacier du Groenland. Une terre, sous-marine désormais, au ond de la mer du Nord, appelée Doggerland. Depuis sa jeunesse, Margaret n’a pas quitté Saint Andrews et a trouvé dans cet eldorado perdu une passion sereine. Ce n’est pas comme Marc, l’ami rançais en question qui, lui, a ait des choix très contemporains, participant comme géologue à l’aventure ébrile de l’extraction du pétrole en mer du Nord, les plateormes oshore, la ruée vers l’or noir. Vivant depuis des années à toute allure, nourrissant son enthousiasme avec le déf, la vitesse, les paris scientifques. Mais voilà. Alors qu’il se dirige vers la ville côtière danoise d’Esbjerg, où doit se tenir le ameux congrès, il est saisi d’une intuition qui envahit totalement son esprit : où en est véritablement l’activité sismique au ond de la mer du Nord après des années d’exploration de celle-ci ? Certes, les diérents pays concernés accumulent des données mais personne n’a de vue globale… Géophysique, sismographie, ingénierie, géologie, cartographie… En défnissant ses personnages dans leur relation passion à leur métier, et en prenant la mer du Nord comme lieu étiche, le roman renvoie à des réalités, physiques, économiques ainsi que mythologiques tout à ait ascinantes, dans une langue largement documentée mais animée d’un intense soue poétique. Margaret et Marc vont-ils se retrouver ? Pour eux aussi des orces agissent depuis longtemps, capables de rouvrir des ailles, ou de les reermer. Dogg erland, Elisabeth Filhol, éditions P.O.L, 345 p., 19, 50 € . La mer du Nord, une î le engloutie, la ruée vers le pétrole… Sur les retrouv ailles d’un homme et d’une femme, un roman intensément inspiré par la géographie. Etonnant. Par Isabelle Potel 82/A I R FRANCE M A DA M E E m o t i on a l s t r a t a T HE NORT H SEA, A LOST ISLA ND, T HE OIL BOOM… A POW ERFUL NOV EL A BOUT PA ST A ND PRESENT LOV ES, GEOGRA PHY A ND GEOLOGY. The historical novel is aull-edged genre, but we never hear o « geographicalction, » presumably because geography is not as evocative or engaging as history. In Doggerland (available in French), author Elisabeth Filhol brilliantly disproves that presumption. When a erce stormstrikes northern Europe, Margaret, a geologist who lives with her husband in Saint Andrews, Scotland, receives a text rom her meteorologist brother, advising her to cancel anupcoming trip to Denmark or a conerence. Reading the message, she starts thinkin g about Marc, a ellow geologist and ormer boyriend, whom she expects to see there. A stormis brewing in her mind as well. Could they resume their relationship ? The irony is that her current research project involves extracting layers o sediment, literally dredgingup the past, rom a submerged land mass called Doggerland, inhabited 6,000 years ago but doomedby rising sea levels at the end o the Ice Age. Margaret has spent her whole career at Saint Andrews, enjoying a quiet lie in academia. The same is not true o Marc, who leads a ast-paced existence prospecting or oil in the North Sea. On his way to Denmark, he is seized by a dire thought : what efect is long-termoil extraction having on the region’s seismic activity ? Geophysics, seismology, geolo gy, cartography… By dening characters through their devotion to their proessions, and making the North Sea a virtual character unto itsel, the novel builds on compelling physical and economic realities in a narrative that is both well- researched and intensely lyrical. For Margaret and Marc as well, ineluctable orces have been in action or many years, capable o reopening or resealing aultlines. 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