C UL TURE R O MA N Des mots venus de loin DES TRÈS BONS LIVRES, il y en a plein. Un livre comme un éblouissement, c’est plus rare. Ce roman culte écrit en 1937 par l’écrivaine africaine-américaine Zora Neale Hurston revient en France dans une nouvelle et admirable traduction signée Sika Fakambi. Où sommesnous ? Qui sont ces gens qui parlent une langue aussi étrange, populaire certainement et d’une incroyable poésie et inventivité ? Qui est cette femme que « tous virent revenir car c’était au soleil descendu » ? Ici, presque rien ne se dévoile autrement que dans les dialogues, la narration avance par bonds et par les conversations, dans l’intimité ou sur la place publique. Le résultat est fascinant. On est à Eatonville, en Floride. Janie est de retour. Elle avait fait scandale en s’enfuyant au bras d’un homme plus jeune et plus pauvre qu’elle. Maintenant, alors que toutes ses connaissances s’abîment dans des « parleries » sans fin à son sujet, elle raconte, à une amie demeurée fidèle, toute sa vie de femme noire, élevée par une grand-mère qui avait connu l’esclavage, mariée trop jeune à un bouseux qui voulait la faire trimer aux champs, s’enfuyant avec un gars ambitieux qui la met derrière le comptoir d’une FREEDOM, LOV E, NAT URE A ND V IV ID, FA ST- PACED DIA LOGUE : A MONUMENT OF A MERICA N LIT ERAT URE BY ZORA NEA LE HURSTON. boutique où elle s’ennuie encore davantage. Et puis les années qui passent et soudain l’irruption du grand amour. Avec ce parler d’une faconde impressionnante, langagières et à l’énergie phénoménale, bondissent tout au long de la vie de Janie tion. Car si l’auteure célèbre la joie et la ricains dans leur ensemble, même au cœur XX e There are many good novels, are few and far between. Their God, written by Zora Neale Hurston rereleased in a new French translation, leaps and bounds, revealing nearly dialogue, with fascinating effect. but truy l dazzling ones Eyes Were Watching in 1937 and recently surges ahead by everything through The narrative centers aux mille inventions les événements et les sentiments et de ses tentatives d’émancipa- ténacité de vivre des noirs amé- de la misère en ce début de siècle où s’ancre l’idée de progrès, elle n’oublie pas que tout en bas de l’échelle sociale, toujours, il y a la femme noire. La modernité du roman tient dans ce personnage de Janie sans instruction qui ne théorise rien, et qui pourtant, à l’instinct et quoi qu’il en coûte, fuit les convenances et tous les enfermements identitaires pour aller vers le soleil, l’amour et la fraternité. Janie incarne cette intelligence du cœur qui ne veut connaître que la beauté et « briller de sa propre lueur ». Au cours d’une tempête dans les Everglades, qui fait sortir de son lit le lac Okeechobee, l’héroïne, devenue cueilleuse de haricots dans la « muck » (marécage), va connaître des heures terribles. Une tragédie grecque mâtinée de Faulkner. Certains écrivains ont une langue si singulière – le plus évident étant Thomas Bernhard –,que pour un peu on se met à parler et à penser comme eux, contaminés par leur style. Même chose ici, on ne se défait plus de ces incroyables tchatches, entre murmures amoureux, confessions, joutes sociales, où les mots se confondent avec la vie et laissent une longue trace scintillante derrière eux. Mais leurs y eux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston, éd. Zulma, 320 p., 22, 50 € . Une femme en quête de liberté, un grand amour, une nature immaculée et des dialogues endiablés. Un monument de la littérature américaine et un merveilleux ov ni. Par Isabelle Potel 74/A I R F R A N CE M A DA M E G i v i n g v o i c e on Janie, an African-American woman who returns to her hometown in Florida after causing a scandal by running off with a younger man. Surrounded by endless gossip, she recounts her life to a friend. Raised by a grandmother who was born a slave, married off to a bumpkin who only wanted her to work in the fields, escaping with an ambitious entrepreneur who put her in charge of a store, which she found even more stifling… The years go by, and suddenly she finds real love. Told in the vernacular, peppered with linguistic inventions and driven by phenomenal energy, the events of Janie’s life unfold in the context of her attempts at realemancipation. Even while lauding the spirit and tenacity of African Americans as a whole, Hurston never lets the reader forget that women of color were at the bottom of the social ladder. The novel achieves a timeless quality in the portrayal of its main character : refusing to relinquish her identity to convention and propriety, Janie forges her own path toward freedom, love and solidarity—at a cost, in particular after a hurricane plunges her and her young lover into a drama worthy of a Greek tragedy. Some authors have such a distinct, powerful voice that readers find themselves speaking and thinking like the characters in the book. It’s impossible not to be enchanted by Hurston’s marvelous depictions of conversation, capturing life in words that resonate with enduring brilliance. PHOTO PRESSE |