ROMAN CULTURE LE THÈME de la fnance dans tous ses états est très à la mode depuis la crise des subprimes en 2008 qui a notamment dévoilé aux opinions publiques la fragilité endémique du secteur bancaire. Des documentaires et des fctions ont feuri depuis ainsi que pas mal de romans décrivant un univers opaque, réservé aux initiés, et dont les abus pourraient provoquer l’effondrement des économies. Le Suisse alémanique Martin Suter, qui est également scénariste, réussit un petit bijou de polar sur le sujet, avec la virtuosité de celui qui sait mélanger, sans que les coutures ne se voient, intrigue romanesque et vulgarisation sur des mécanismes pourtant complexes. Tout commence dans un train qui freine brutalement pour cause d’un « incident voyageur ». Quelqu’un est tombé, semble-t-il. Jonas Brand, quadra célibataire qui gagne sa vie à Zurich en faisant des reportages people pour une émission télé, en attendant de faire un jour du « vrai » cinéma, filme à la dérobée, pose quelques questions aux autres voyageurs. Un suicide, semble-t-il. Quelques jours plus tard, Jonas découvre qu’il est en possession de deux billets de banque ayant le même numéro de série. Si les billets sont vrais, c’est-à-dire émanant de l’organisme d’Etat qui les imprime, c’est impossible, lui affirment plusieurs spécialistes. Sauf volonté délibérée. Sans réaliser où il met les pieds, Jonas, qui subit dans la foulée un cambriolage et une agression, se met à fouiller, comprend que l’« incident voyageur » et l’anomalie des billets sont liés, et accumule petit à petit les indices probants d’un énorme scandale financier. Outre le suspens très bien construit et les amours naissants de Jonas et de la belle Marina, laquelle tente bizarrement, cependant, de le décourager de poursuivre ses investigations, Suter pointe l’un des talons d’Achille du système bancaire : comme il n’y a aucune limite à la surenchère spéculative, il sufft d’un trader qui prend soudain trop de risques pour provoquer des pertes très importantes, à laquelle la sous-capitalisation chronique des banques ne permet pas de faire face. Tout en fnesse et humour, le roman fait le portrait d’un milieu, celui des commis de l’Etat et des hauts responsables bancaires, qui sont prêts à se comporter comme de vulgaires criminels pour empêcher la divulgation d’une situation susceptible de provoquer ce qu’on appelle une « ruée aux guichets » et d’entraîner des réactions en chaîne incontrôlables. Finalement, pour sauver l’humanité, le mensonge vaut mieux que la vérité. Avec une sobriété effcace, Suter nous parle du monde orwellien des temps modernes, qui, tel une bulle de savon, peut éclater d’un instant à l’autre. M Isabelle Potel 100 GROSSES coupures Le romancier suisse Martin Suter livre un thriller inspiré autour d’un vidéo-reporter trop curieux et des arcanes fascinants du monde bancaire. Of lies and lives A Swiss novelist delivers an inspired thriller that pulls back the curtain on the secretive world of banking. THE THEME of fnance has been much in vogue ever since the subprime crisis of 2008 revealed the endemic fragility of the banking system. In Montecristo (available in French, German and Spanish), the Swiss author Martin Suter has crafted a virtuosic thriller on the subject, managing to weave a gripping fctional plot while demystifying complex real-life processes. The story begins on a train that brakes suddenly for an emergency : someone has fallen—or jumped—off. Jonas Brand, a celebrity beat TV reporter from Zurich, talks to other travelers while secretly flming them. A few days later, he notices that he has two banknotes with the same serial number, but that don’t seem to be counterfeits. Jonas decides to investigate, despite being burglarized and assaulted, and realizes that the train incident and the banknote anomaly are connected. Little by little he uncovers clues that point to a huge fnancial scandal. While skillfully building suspense and recounting the nascent love affair between Jonas and the beautiful Marina, who inexplicably tries to talk him out of pursuing his inquiry, the author sheds light on a potentially catastrophic faw in the modern-day economic system : a single over-extended trader can incur enormous losses, leaving the chronically undercapitalized banks helpless. With humor and fnesse, Suter’s novel depicts a world in which high-ranking offcials are ready to act like common criminals to conceal a situation that could trigger a chain-reaction bank panic. In the end, to save society, lies are better than the truth. Montecristo offers a glimpse of an Orwellian present, a house of cards that could collapse at any moment. M « MONTECRISTO », Martin Suter, éd. Christian Bourgois, 335 p., 18 €. PHOTO BASTIEN SCHWEITER/DIOGENES VERLAG AG ZÜRICH |