TENDANCES 108 LE LABORATOIRE DE L’AVENIR La célèbre généticienne française Alexandra Henrion-Caude nous accueille dans son nouveau laboratoire, Simplissima, à Port-Louis : une ancienne maison à l’architecture créole qu’elle a minutieusement rénovée. Rencontre passionnante. THE LAB OF THE FUTURE – The famous French geneticist Alexandra Henrion-Caude, who has settled in Mauritius in 2016, has welcomedus in her new laboratory, Simplissima – an old Creole-style house in Port Louis, which was carefully renovated for the purpose. It was such a fascinating encounter ! Alexandra Henrion-Caude est titulaire d’un doctorat en génétique. Elle a effectué son post-doctorat à la Harvard Medical School et affiche un brillant parcours scientifique à l’international : directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en France, elle préside aussi l’association des Eisenhower Fellowships France et signe plus d’une centaine de publications scientifiques internationales. En 2016, Alexandra Henrion-Caude fait le pari de venir s’installer à Maurice. Début 2018, elle choisit de renoncer au salaire à vie que lui offre son titre de directrice de recherche à l’INSERM, pour créer Simplissima, un institut de recherche basé à Port-Louis, et devient l’un des directeurs de l’Economic Development Board Mauritius (EDB, anciennement le BOI). Dr Alexandra Henrion-Caude, vous êtes sollicitée dans le monde entier. Pourquoi avoir choisi de vous installer à l'île Maurice ? N'étant jamais venue à Maurice auparavant, j’ai longtemps eu la vision lointaine et erronée d’une île paradisiaque pour touristes. Je ne pouvais imaginer qu’elle puisse être aussi autre chose, qu’elle ait une économie aussi diversifiée. J’ai commencé à m'intéresser à Maurice lorsque j’ai su que ce pays avait choisi pour présidente une femme (Ameenah Gurib-Fakim, de 2015 à 2018), scientifique de formation. Cela a attisé ma curiosité. Puis j’ai découvert ce bouillon de culture avec son intégration bien particulière, cette richesse ethnique, la coexistence de chaque culture. Je me suis rendu compte que l’on pouvait voir l’île Maurice de deux façons sur la carte du monde : soit comme une goutte dans l'océan, soit comme le centre du monde ! (rires) Dans les deux cas, tout est réuni pour faire de Maurice un modèle de réussite aux yeux du monde. Et puis il y a une magie avec cette nature et cette biodiversité épatantes, qui me donne de facto beaucoup de possibilités pour mes recherches. Justement, vous avez créé cette année Simplissima, un institut de recherche à Port-Louis. Quel intérêt scientifique présente notre île ? Quel est l’objet de vos recherches ici ? L’objet de mes recherches porte sur toutes ces solutions pour la santé qui sont d’une grande richesse dans le patrimoine culturel mondial, mais qui sont aujourd’hui en voie de disparition pour la simple raison qu’on n’en connaît pas les mécanismes. Le miel soulage-t-il vraiment le mal PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUELLE HARDY de gorge ? Le limon de Rodrigues a-t-il des propriétés thérapeutiques uniques ? Quels sont les bénéfices réels du brède mouroum (moringa) ? L’homme est assez sage pour avoir observé un certain nombre de bénéfices pour la santé dans la nature, mais tant qu’on ne connaîtra pas leurs mécanismes d’action, je crains que toute cette connaissance ne soit en train de disparaître... L'île Maurice, de par son multiculturalisme, possède une grande richesse de connaissances ethno-médicales, avec des remèdes traditionnels et ancestraux. L’objectif de Simplissima est de puiser dans ce savoir, de s’en inspirer, pour apporter des solutions de santé simples, durables, éthiques et low-cost aux personnes vivant à Maurice, mais aussi dans le monde entier. Quelles méthodes comptez-vous employer pour rassembler ce savoir ancestral et mener à bout vos recherches ? J’ai créé, dans le jardin de l’institut, un petit café que j’ai nommé JoMo (pour « Joy of Missing out » en clin d’œil à la maladie du FoMo, « Fear of Missing out », qui menace tous ceux qui sont trop connectés). C’est un lieu d'échange où l’on invitera des gens pour de petites conférences. De l’autre côté de la maison se trouve notre laboratoire, plus moderne, mais toujours avec une vue sur la nature, dans lequel nous étudions les mécanismes d’action des plantes. L’idée est de donner à l’élite scientifique mauricienne la justification de coopérer, et ainsi servir Maurice, dans un cadre qui sache allier la stimulation intellectuelle à l'innovation et à la recherche, à un niveau international. Vous accordez une grande importance à la nature. Elle est aujourd’hui au centre même de vos recherches. Selon vous, à quel point la nature doit-elle être prise en compte dans le développement d’un pays ? Pour vous répondre et traduire ma philosophie, je vais faire écho à la citation de Jim Rohn qui disait, « Take care of your body, it’s the only place you have to live ». Pour ma part, je dirais : « Take care of your country, it’s the only place you have to live »... et spécialement sur une île ! J’aime rappeler que ce qui nous distingue de l’animal, c’est que l’homme est le seul animal à savoir identifier ses grands-parents. Il n’y a aucun animal qu’on n’ait jamais repéré, qui reconnaît ou qui a un lien spécial avec ses grands-parents. Ce qui veut dire que l'être humain, en voyant qu’il a un grand-père ou une grand-mère, apprend de fait, alors › |