10 À la une les défis du cea mars 2011 » > Plus d’un million de collisions observées Durant ces trois semaines, Atlas et CMS ont ainsi tous deux relevé des signaux, appelés « extinction de jets », indicateurs de sa formation probable. De son côté, la collaboration Alice a observé à l’aide de son détecteur plus d’un million de collisions entre les noyaux de plomb(lire l’encadré page précédente), ce qui lui a permis de consacrer deux articles dans la revue Physical Review Letters à la soupe de particules élémentaires. Outre qu’ils révèlent que les collisions dans le LHC surviennent à plus haute densité d’énergie que dans les expériences précédentes, ceux-ci confirment le résultat du RHIC selon lequel le chaudron de particules élémentaires se comporte comme un liquide sans viscosité et non comme un gaz, tel qu’on interview Jean-Yves Ollitrault, chercheur à l’Institut de physique théorique du CEA à Saclay. Le théoricien explique pourquoi lui et ses collègues s’intéressent au plasma de quarks et de gluons. LES DÉFIS DU CEA Le plasma de quarks et de gluons, qu’est ce que c’est ? J. Y. O. | C’est un état de la matière qui a existé dans l’Univers, lors de la première microseconde après le big-bang. À cette époque, les protons et les neutrons dont sont faits les noyaux atomiques n’avaient pas encore été formés. Seuls leurs constituants élémentaires, les quarks et gluons, existaient. Cet état où ces derniers pouvaient se déplacer librement est le plasma de quarks et de gluons. LES DÉFIS DU CEA Dans quelles conditions se forme-t-il ? J. Y. O. | De nos jours, les quarks et les gluons sont enfermés dans les protons et les neutrons. Pour les observer individuellement, il faudrait recréer les conditions de température et de densité Le chaudron de particules élémentaires se comporte comme un liquide sans viscosité, et non comme un gaz. du cœur d’étoiles à neutrons, conditions qui ne sont réunies nulle part à l’état naturel. L’Univers à l’époque du plasma de quarks et de gluons avait une température de 2 000 milliards de degrés ! C’est pourquoi les physiciens ont dû imaginer une autre méthode pour résoudre le problème. Elle consiste à faire s’entrechoquer dans de grands accélérateurs, comme le LHC du Cern, des noyaux d’atomes de plombou d’or (qui comportent beaucoup de protons et de neutrons) à des vitesses proches de celle de la lumière. Selon nos calculs, ces collisions sont suffisamment énergétiques pour recréer le plasma. LES DÉFIS DU CEA Pourquoi tient-on tant à l’étudier ? J. Y. O. | Les motivations sont multiples. Cet état était tout d’abord celui de l’Uni- l’a longtemps pensé. « Les résultats ont également montré qu’un plus grand volume de plasma (de l’ordre de 300 femtomètres cube) est généré au LHC et qu’il dure un peu plus longtemps (environ 10 -23 seconde), raconte Alberto Baldisseri. Ce qui est plus qu’encourageant pour l’avenir puisque le faisceau d’ions de plombdu collisionneur n’a pas encore atteint sa pleine capacité. À ce stade, son intensité est 100 fois inférieure à ce qui est prévu. » Les physiciens d’Alice réussiront-ils à arracher à la soupe originelle de particules élémentaires des débuts ses autres secrets ? Pour le savoir, rendez-vous à l’automne 2011 lors de la prochaine campagne d’ions de plombdu LHC. vers à ses débuts. Son étude peut donc nous renseigner sur nos origines. Les physiciens voudraient également vérifier leurs théories concernant les propriétés thermodynamiques de ce milieu : que se passe-t-il lorsqu’on fait chauffer des quarks et des gluons ? Enfin, des expériences ont récemment montré que ce plasma ne ressemblait pas tant à un gaz qu’à une sorte de liquide très peu visqueux. Les théoriciens peinent à expliquer pourquoi. La mise au point d’outils à même de décrire un tel système, dit « fortement couplé », constitue l’un des défis actuels de la physique, car ce type de problème est de portée générale : il se pose aussi bien pour le plasma de quarks et de gluons que pour la supraconductivité, par exemple. Laure Sauboy |