LES AFFAIRES —.Ta fille a fauté avec le nouveau riche de la villa Ker Avor ? — Demain soir, à ce qu'elle m'a dit. Dessin de R. DR VAL$RIO. DE CIIARVBDE EN SCYLLA Quand, sur les boulevards, Prosper Panonceau aperçut cette jeune femme merveilleuse, il demeura d'abord cloué au sol. Puis, sur-le-champ, il se sentit transporté dans un autre monde comme si, par douzaines, les ailes de l'Amour lui fussent poussées, divines et légères, par tout le corps... C'est assez, n'est-ce pas, pour démontrer que le coup de foudre n'est pas un mythe. Prosper n'avait pas fait quatre pas que cette jeune femme lui parut désormais aussi indispensable à sa vie que la lumière du ciel ou que le paquet de maryland qu'il pétunait chaque jour. Il s'attacha au sillage embaumé qu'elle traçait dans la foule et la suivit avec l'emportement dont fait preuve, vis-à-vis de l'aimant, la limaille de fer. Elle prit le métro, il s'engouffra à sa suite ; elle emprunta l'autobus, Panonceau l'escalada comme un bastion. Ils gagnèrent ainsi les hauteurs de Passy. Sur ces cimes, Prosper marchait, volait derrière sa belle, le coeur gonflé d'audace et de farouches résolutions... Elle tourna dans la rue Cortambert et pénétra bientôt dans un immeuble de haute allure. Sur le trottoir, en face, Panonceau s'arrêta et considéra la maison lui lui parut soudain majestueuse, enchanteresse comme un palais des Mille et une Nuits... — Allons... du courage ! dit-il, il faut que je sache... A son tour, il entra dans l'immeuble. Il en avait à peine franchi le seuil, qu'une masse lui barra le passage. 11 leva les yeux. C'était la concierge, matrone formidable au triple menton et à la lèvre virilisée par une moustache brune. — Madame... balbutia Prosper en allégeant son portefeuille d'une appréciable pécune... il vient d'entrer ici... une jeune « Cher Monsieur, femme... très... très jolie... Pourriez-vous me donner à son sujet quelques renseignements ? La concierge le regarda avec un sourire ironique, puis — Ah ! vous avez du goût, fit-elle... En effet, monsieur, Mile Éliane d'Orangys, qui danse tous les soirs aux Folies Pastorales, est une bien jolie personne... Mais... je dois vous prévenir... tout ce qu'il y a de plus comme il faut... et... Mais déjà Panonceau ne l'entendait plus. La fièvre aux jambes, il arpentait la rue. Rentré chez lui, il se jeta sur son bureau, saisit une feuille de papier et, faisant appel à sa rhétorique la plus enflammée, il déclara son amour à la jeune femme. La lettre partie, il attendit, à demi mort d'impatience. Aucune réponse ne vint. Sans se décourager, il écrivit une nouvelle épître qui eut le même sort que la première. Alors il envoya des fleurs et poussa l'audace jusqu'aux crottes de chocolat. Toujours rien ! Obstiné, il écrivait chaque jour une lettre pathétique passant de l'élégiaque au passionné, du platonique au libertin. Il démarquait Baudelaire et pillait Musset et Casanova. Enfin, un matin, il pensa défaillir. Dans son courrier, il venait de trouver une grande enveloppe mauve rehaussée d'un monogramme. Une écriture aristocratique, un parfum de haut goût ! Panonceau baisa la missive avec transport. C'était sûrement d'Elle ! Il ne s'était pas trompé. Deux lignes dansèrent une sarabande d'allégresse devant ses yeux : s Je suis touchée par la constance de vos sentiments. Venez 1 LIANE. I) Il n'en faut pas plus pour créer autour de soi le Paradis. Panonceau ramait dans l'azur et la béatitude. Enfin 1 il tenait son rêve 1 Bientôt, il allait serrer dans ses bras cette jeune — Comment, on ne répond pas ?... Tous les faux numéros sont donc occupés ? Dessin de BER. |