LE JOUR DU CINÉMA Après le diner, dans la salle à manger. — Où vas-tu ? demande M. Noirmont. — A la cuisine, répond Mn" Noirmont. — Pour quoi faire ? — Pour te préparer ton infusion. — Et il faut que tu te déranges ?... — Naturellement, fit Mme Noirmont, puisque c'est irrcredi. — Ah ! oui, c'est vrai, ronchonna M. Noirmont... Mercredi... Le jour du cinéma... — Nous n'avons qu'à nous incliner, observa Mme Noirmont, puisque cela a été convenu... — Nous vivons à une époque de bouleversement et de folie... Les bonnes réclament une soirée par semaine pour aller au cinéma... — Il faut bien en passer par là... Et nous avons encore été bien heureux de trouver Clarisse... Elle est très convenable... — Oh ! là, là ! s'écrie M. Noirmont... J'admire ta naïveté... Alors tu y crois, toi, à cette histoire de cinéma ?... — Que veux-tu qu'elle cache ?... — Tiens, tu es trop naïve... La noce, tout bonnement, la noce... Ta Clarisse nous plaque et laisse tout en plan le mercredi soir pour aller faire la bombe... C'est clair comme de l'eau de roche... — Veux-tu que je la renvoie ?... — Pour en avoir une autre qui fera la même chose ?... Nous serons bien avancés !... Que veux-tu, le monde est pourri... Toutes les femmes veulent porter des bas de soie... Ç'a ouvre les yeux sur bien des choses... Seulement ça n'empêche pas de rager... — Mon pauvre ami, quand tu te mets à agiter ces questions, tu ne te connais plus... Tu t'agites, tu t'énerves... Et, après, tu ne dors pas... Te voilà en ébullition... Tu devrais aller faire un tour... — Je ne vais pourtant pas te laisser seule... — Ne t'inquiète pas de cela... J'ai de quoi m'occuper... Va, va, ça te calmera... Et M. Noirmont, docile, alla faire un tour. — Comment !... C'était vous ?... — Mais oui, monsieur... — Je ne vous avais pas reconnue... — Oh ! moi, j'ai ais bien reconnu monsieur... — Voici votre kilo de pain madame... C'est 29 sous... Mais emportez-le vite : il peut augmenter d'un moment à l'autre ! Dessin d'Arsène BelvoT. LE BAGNE EST SUPPRIMÉ.. Monsieur Dupont aussi ! Dessin de Bort R. A la grande lumière éclatant soudain, M. Noirmont venait d'identifier Clarisse, sa cuisinière. Après avoir quitté Mme Noirmont, il était allé prendre son infusion quotidienne dans un café. Après quoi il avait commencé le tour hygiénique pour lequel il s'était arraché aux douceurs du foyer. Rien n'est monotone comme un tour hygiénique. M. Noirmont ne tarda pas à l'éprouver. Au bout de dix minutes d'une fade promenade sans but, il fut attiré par l'opulent éclairage et les affiches d'un cinéma. Et il y entra. L'obscurité, à ce moment, était complète, mais il remarqua tout de suite la gracieuse silhôuette d'une jeune femme à côté 7 de qui l'ouvreuse l'avait placé. Des frôlements involontaires d'abord, discrets ensuite, avaient éveillé en lui une sympathie qui ne fit que s'accroïtre. Mais quelle ne fut pas sa stupéfaction, quand le film fut terminé et que la lumière fut redonnée dans la salle, de constater que sa charmante voisine n'était autre que Clarisse, habillée avec un goût aimable et seyant. Se rappelant alors les impressions éprouvées et, lui semblait-il, échangées pendant la fin du film, M. Noirmont dit à Clarisse : — Alors, vraiment, vous m'aviez. reconnu `... — Oh ! monsieur, tout de suite... Mais je me demandais comment monsieur avait bien pu savoir à quel cinéma j'ai l'habitude d'aller le mercredi... — Je. ne le savais pas, Clarisse... Je suis entré par hasard... — Oh ! alors, je demande bien pardon â monsieur... — Pardon ?... Et de quoi, Clarisse ?... — Voyons, monsieur doit bien comprendre... Si j'avais su..., enfin, si j'avais |