— (:.a t'amuse de bavarder avec cet affreux animal ? — Lui, au moins, ne me demande pas de l'aimer 1... Dessin de G. Pavas. LE VER SAUVEUR Je me promenais avec muon ami Marius Capoulade, avenue des Champs-Elysées. De l'Etoile à la Place de la Concorde, les femmes passaient si jolies, que les feuilles en jaunissaient d'envie aux arbres, pauvres feuilles que sur cette allée on ne regarde plus à l'envers. Marius Capoulade me racontait des histoires vécues. Il était en train de me terminer l'histoire de son duel avec le directeur de l'Institut Zoologique de la Vera Cruz, duel difficile, car ce directeur était un homme-tronc, lorsqu'il s'arrêta brusquement..Un énorme ver se tortillait devant nous, dans l'allée. D'un talon cruel, j'allais l'écraser. — Arrêtez ! Arrêtez, malheureux, hurla Marius, respectez la vie de ce ver. — Mais... — Tuez qui vous voulez, ce passant, cet agent de police, je vous laisserai faire, mais ne tuez pas ce ver. — Pourtant. Si vous tuiez ce ver, vous aurez affaire à moi. — Et pourquoi cet amour immodéré pour ce ver ? — C'est un ver qui m'a sauvé la vie. Depuis je les protège tous. — Je ne comprends pas. — Je vais vous expliquer. Dans un de mes voyages dans le Ilaut-Ougandou, j'avais été pris par une tribu anthropophage, les Krikiks. Les Krikiks sont féroces ; malheur à qui tombe en leurs mains ! Ils vous dévorent. A cette époque j'étais mince et jeune ; aujourd'hui évidemment je suis plutôt grassouillet, mais alors je ne pesais que soixante kilos. Suivant la coutume, on m'introduisit dans une hutte et l'on résolut de m'engraisser pour me manger à la fête du pays. On nie gava. VI E Je ne grossissais pas. Les plats succulents succédaient aux plats succulents, le maïs succédait au manioc... Rien n'y fit ! C'était la première fois que le fait se présentait et les sauvages en restaient comme deux ronds de flan. Mes camarades, eux, qui avaient été pris en même temps que moi, engraissaient à vue d'oeil. Seul, je restais squelettique. Après m'avoir fait manger toutes les heures, on me fit manger toutes les minutes, puis toutes les secondes ; je mangeais indéfiniment, mes mâchoires claquaient continuellement comme des castagnettes : peine perdue, je restais maigre comme un clou. Mes camarades, eux, devenaient énormes, entre autres, une mince jeune file, la fille du Gouverneur de l'Ougandou, dont j'avais demandé la main, mais qui m'avait été refusée, était passée d'une apparence frêle à un port de pachyderme. Le jour de la fête du pays arriva. On me laissa dans la case comme trop maigre. Et l'on mangea mes compagnons. On me donna une part du festin. — J'avais la main de la jeune fille que j'aimais, mais je la mangeais sans joie, car c'est un bas morceau. On continua à me gaver. Rien n'y fit. L'expédition qui était partie à notre recherche arriva et me délivra. Je racontai au major comment nies camarades avaient péri, et comment, grâce à ma maigreur persistante, j'avais eu la vie sauve. Le major m'ausculta. — Eh ! bien, fis-je, d'où vient cette impossibilité absolue d'engraisser ? J'avais le ténia, le ver solitaire, rien à faire pour m'engraisser. Mais lui, l'animal, ce qu'il était gros, fit Marius. — Ah ! — Vous comprenez, dit Marius, c'est à un ver que je dois la vie. — Poète. Va !... Georges DOLLEY. LA VEUVE ÉPLORgE — Oui, ce fut une grande perte pour moi... Il me reste heureusement ce cher Pompon... — Ce petit animal ne peut tout de même pas remplir la place du défunt ? — Non, irais il ronfle aussi bien !... Dessin de BIIL11ANN. I L L E Cu R E L QIlEtJRS FRANÇAISESS |