A L'ASILE D'ALIÉNÉS PREVENANCE LE VISITEUR. - EL ce grand-là, avec sa barbe, est-il dangereux ? L'INFIRMIER.- Hum !... C'est M. le directeur. Dessin deL. Lue. M. Aimé Tique, le sympathique pharmacien de la rue Chappe, marie ce matin sa fille Séraphie, une anémique blonde de dixhuit ans. Ah ! il n'est pas beau, le fiancé. avec son grand nez à la Cyrano. C'est d'ailleurs le seul point de ressemblance qu'ait le jeune homme avec le héros de Rostand dont il est loin de posséder la délicatesse de coeur et de pensée. Au moment de partir pour la mairie, M. Tique descend de voiture pour faire ses dernières recommandations à Spiridion, le garçon-élève, qui, en l'absence du maître, va présider aux destinées de la pharmacie. — Spiridion, écoutez-moi bien. Je vous confie l'officine. Puis-je compter sur vous, mon ami ?... Au cas où quelque événement grave se produirait : une révolu- - Et qu'est-ce que monsieur pense de mon petit « Moulin-â-Vent D ? Eh bien ! il me fait plutôt penser à un petit moulin à eau ! Dessin de DHARM. DA NS LE DEM 1-MI ON D:h, — Comment, tu me chasses ?... Moi qui suis ta mère depuis trois ans'. Dessindc Guvno. tion, une inondation, un empoisonnement, un feu de cheminée — on ne peut pas savoir — faites-moi prévenir aux salons Gamache où doit`avoir lieu la noce... Surtout, prenez garde aux voleurs... Fermez bien le tiroir-caisse... Et, en prévision du passage de ces messieurs les Inspecteurs de l'École de Pharmacie, tenez l'armoire aux poisons soigneusement close... Enfin, ce soir, assurez-vous que le rideau de fer soit parfaitement baissé... Ah ! j'oubliais : vous attendrez pour vous mettre au lit que les jeunes époux soient rentrés... Ainsi, s'ils avaient besoin de quoi que ce fût : eau de mélisse ou... — enfin, il faut tout prévoir — vous seriez là pour leur venir en aide. Allons, à ce soir, mon ami. Spiridion, la mort dans l'âme, a regardé la noce s'en aller. Et quand la dernière voiture a disparu, il pousse un son long, et triste comme un son d'ophicléide. Car, vous l'avez deviné, n'est-ce pas, le malheureux élève aime en secret la fille de son patron, la frêle et blonde Séraphie qui, en robe blanche, paraît aujourd'hui plus pâle et plus mince que jamais. Allons, cette journée de fête sera pour lui une grande nuit de deuil ! Mais se souvenant A. propos que le labeur est encore le meilleur remède de.la. douleur, l'infortuné jeune homme se met résolument au travail. Voyons, à quoi va-t-il'employer son temps ? Va-t-il mettre de l'huile de ricin en flacons ou. va-t-il préparer des limonades purgatives ? Son goût naturel de la poésie l'incline à choisir cette dernière manipulation qui lui semble moins prosaïque. Et, tout en mariant l'acide citrique et le carbonate de magnésie, Spiridion cisèle le premier quatrain d'un sonnet destiné à enclore l'immensité de sa douleur : Ma vie a son secret, mon âne a son mystère ; Un amour éternel en un instant conçu... Hélas ! vivant parmi remèdes et clystères, La belle ne m'a point jugé assez cossu. Ma foi ! il n'est pas mécontent de ces quatre vers. Les deux premiers surtout lui sem- |