— Je vous offre, dans mon journal, une place durable : vous tiendrez la rubrique de la vie chère. Dessin de Marcel ARNAC., Y LEON ! TON PÈRE EST JOUEUR Nous sommes à la fin du mois d'octobre. Il fait nuit, il pleut, et, dans la petite salle à manger de la rue Christiania, Mme Ledu se promène comme une lionne en cage. — Il est tard, il y a longtemps que mon mari devrait être là ; où peut se trouver cet animal d'Alfred ? Inexorable, la pendule annonce qu'il est huit heures. — Il quitte pourtant à six heures les bureaux de sa compagnie d'assurances, la Tatillonne, compagnie qui assure l'existence à ses clients, et à mon mari, comme employé, pour sept cents francs par mois. Il doit être en train de prendre l'apéritif au cané, mais il va voir ce qu'il va prendre à la maison' !... De la pièce à côté, où joue le jeune Léon, son fils, un concert d'imprécations et de gémissements s'élève, et le jeune garçon, lui-même, parait en hurlant : — On m'a volé 7 fr. 95 dans ma tirelire ! — On t'a volé dans ta tirelire ? — Oui. — Qui cela peut-il être ? J'interrogerai demain Mme Mignonnet, notre femme de ménage ; mais où est ton père ? Une clef tourna dans la serrure. — Le voilà. Et Alfred Ledu, un peu pâle et crotté, entra dans la salle à manger. — Tu arrives bien tard. Et'ton mois ? Alfred tendit une liasse de billets de banque à sa femme. — Mais il n'y a que cinq cents francs ! ll en manque deux cents ! Où est passé le reste de l'argent, Sardanapale ! Tu ne vas pas me dire que l'on a fait une quête. MERCI POUR LE RENSEIGNEMENT — Ou recommandera la maison pour son amabilité. Dessin de SOUPAULT. — C'est mal ce que je viens de faire là ! — Ça ne fait rien ; la prochaine fois, vous ferez mieux ! Dessin de Roger CHANCEL, — J'aime mieux t'avouer la vérité, dit Alfred en bégayant. Mes collègues et moi, nous jouons le soir au café ; j'ai perdu deux cents francs aux cartes. Mme Ledu blêmit. — Tu as perdu deux cents francs aux cartes ! Deux cents francs ! Le prix d'un costume tailleur ! Et je parie qùe c'est toi qui as fouillé dans la tirelire de ton fils. Alfred ne répondit pas. — Léon, Léon ! Viens, ton père est joueur ! 11 va nous mettre sur la paille, joueur comme ton grand oncle qui a perdu sa fortune au rains. Il entache l'argent de son mois, il vole les économies de son fils ! Tu finiras au bagne. Tu as des dettes, sûrement ! — Mais non, ma chérie, je ne jouerai plus, je te le jure ; et c'est la dernière fois : le mois prochain je te rapporterai tout mon mois. - Le mois prochain, nous verrons. Et le dîner fut sans cordialité. ** Nous sommes à, la fin du mois de novembre. Il est sept heures du matin. Alfred sort du lit une jambe maigre et velue. — Qu'est-ce que tu fais ? — Je me lève pour aller à mon bureau. — Tu es malade, reste couché. — Mais je ne suis pas malade du tout, et c'est aujourd'hui la fin du mois. — Justement, tu es malade, je le veux. Tu vas rester couché toute la journée, j'irai prévenir ta compagnie, je toucherai.on mois et je reviendrai avec les sept cents francs en entier, moi ! Mon petit Léon, nous irons ensemble cet après-midi. — Oui, maman. Surtout que c'est la fête boulevard de Clichy !... Mme Ledu, accompagnée de son fils, s'est rendue à la Tatillonne. Elle a prévenu que son mari était légèrement souffrant, elle a touché le mois et elle revient lentement, avec Léon, en passant par la fête. — Oh ! maman, la belle loterie, regarde. Mme Ledu tombe en arrêt. Il y a vraiment des lots superbes. Et parmi eux, un superbe service de table, avec des fleurs éclatantes et des filets d'or. — Comme ce service ferait bien dans ma salle à manger ! Elle s'approcha du patron qui tenait des billets, un singe sur l'épaule. — Pour combien de lots, le service ? Là, le beau servi ce à fleurs ? |