M ine de rien, elle a grandi avec nous. Depuis « Lemon Incest », où son célèbre papa, Pygmalion désespéré, l'enserrait comme on s'accroche à une bouée. Depuis « IHfrontée », qui aurait pu à jamais figer l'« exquise esquisse » dans une mine boudeuse et une tristesse rebelle. A lëpoque, nos jeunes filles du cinéma, Sandrine Bonnaire, Juliette Binoche, Romane Bohringer, n'étaient plus en fleur, mais faisaient la gueule. Fille farouche de Serge et de Jane, Charlotte devint leur icône. A son corps défendant. « Mon père adorait faire la une des magazines ; moi, j'avais la hantise des médias. Je me sentais agressée. Je n'avais qu'une envie : passer inaperçue. » Il est des débuts plus sereins. Lèsquisse aurait pu tourner court. Mais, cahincaha, elle a pris forme. Aujourd'hui, Charlotte, mère de deux enfants, pose pour Gérard Darel, préside les César, gère sans heurts l'héritage de son père, et vit, depuis bientôt quinze ans, avec un comédien, Yvan Attal, qui, en passant derrière la caméra, a réussi à la faire rire. Oh, bien sûr, il y eut des lendemains difficiles. « Après 1991, je n'ai plus su m'amuser. J'ai perdu l'instinct. En plus, j'avais du mal à travailler. » Deuil difficile de son père, des rôles de chat écorché : la musique, après un prélude un peu trop rapide, tournait au disque rayé. Mais, en 1999, « La bûche » lui adoucit la vie : « Quand Danièle Thompson m'a proposé ce rôle d'executive woman énervée qui se cherche un garçon pour le réveillon, elle m'a dit qu'a priori ce n'était pas pour moi. » Résultat : Charlotte étonne, fait rire, et la profession, ravie d'avoir retrouvé sa brebis égarée, lui décerne un césar. Petite cause, grands effets. Son compagnon, Yvan Attal, est en perte de vitesse en tant qu'acteur. Il transforme un court-métrage qu'il a déjà tourné, « Ma femme est une actrice », en long et confie à sa Charlotte césarisée le rôle principal. Bingo ! Déclaration culottée et pleine d'humour, « Ma femme est une actrice » table sur la confusion entre le réel et la fiction : Charlotte y porte son prénom, ses habits et incarne une comédienne glamour dont son mari est jaloux. La presse salue « Charlotte for ever » et le public découvre une jeune femme drôle, légère, charmante, bref, filmée avec les yeux de l'amour. « Yvan me voit faire, il sait quand je ne vais pas oser. J'ai plus peur de le décevoir, mais il me pousse dans mes retranchements. Les autres cinéastes sont peut-être satisfaits plus vite. » Plus extraverti, Attalla fait chanter, hurler, monter sur les tables lors des répétitions : « Il ne voulait plus que je parle doucement, que je baisse la tête. » A l'époque, Charlotte redoute que ce fùm soit mal pris. Question de caractère. Elle a peur du mot, du geste déplacé : « Je crains de passer pour une prétentieuse, c'est si délicat la manière dont les phrases sont dites. » Alors elle reste sur ses gardes. S'efface sur les plateaux télé qui savourent l'histoire de ce couple de cinéma se donnant la main pour remonter la pente. Rossellini-Bergman, Antonioni­ Monica Vitti, Fellini-Giulietta Masina, GROS PLAN CHARLOTTE GAINSBOURG Le Magazine - 61