Ma dernière oeuvre Ma dernière tuvre est un mur par Joan Miro est un mur par Joan Miró EST en 1955 que les directeurs de l'Unesco m'ont demandé de par-C, ticiper à la décoration des nouveaux bâtiments de l'Organisation qui étaient en construction place de Fontenoy, à Paris. On m'offrit, à proximité du bâtiment des Conférences, deux murs perpendiculaires de 3 m de hauteur, l'un de 15 m de long, l'autre de 7,50m. Je proposai de les réaliser en céramique, avec la collaboration de Llorens Artigas. Les formes mêmes des édifices, leur orga- Ctt EST en 1955 que les directeurs de'l'Unesco m'ont demandé de par¬ ticiper à la décoration des nou¬ veaux bâtiments de l'Organisation qui étaient en construction place de Fontenoy, à Paris. On m'offrit, à proximité du bâti¬ ment des Conférences, deux murs perpen¬ diculaires de 3 m de hauteur, l'un de 15 m de long, l'autre de 7,50m. Je proposai de les réaliser en céramique, avec la collaboration de Llorens Artigas. Les formes mêmes des édifices, leur orga- Le paysage grandiose qui domine le village de Gallifa, où Mir6 et Artigas étaient à pled d'oeuvre, Joua le rôle des hautes parois de béton de la Maison de l'Unesco. C'est à l'épreuve de ce cadre que le peintre et le céramiste soumirent les grandes maquettes des murs. Le paysage grandiose qui domine le vil¬ lage de Gallifa, où Miró et Artigas étaient à pied d'iuvre, joua le rôle des hautes pa¬ rois de béton de la Maison de l'Unesco. C'est à l'épreuve de ce cadre que le peintre et le céramiste soumirent les grandes ma¬ quettes des murs. nisation spatiale, les conditions de lumière m'ont suggéré les formes et les couleurs de mes murs. Ainsi, en réaction contre les immenses parois de béton qui l'entourent, l'idée d'un grand disque d'un rouge puissant s'imposa à moi pour le grand mur. Sa réplique, sur le petit mur, serait un croissant bleu, dicté par l'espace plus restreint, plus intime dans lequel il était prévu. J'ai cherché une expression brutale dans le grand mur, une suggestion plus poétique dans le petit. Ainsi furent dessinées et peintes des petites maquettes au 1/100e qui furent soumises à un comité responsable et agréées. La deuxième étape de ce travail, ce fut la recherche, avec Artigas, des moyens techniques de la réalisation en céramique de mon projet. Aucun céramiste n'avait eu à se mesurer à une oeuvre de cette envergure. De plus, il fallait également prévoir la résistance des matières aux différences de tem- nisation spatiale, les conditions de lumière m'ont suggéré les formes et les couleurs de mes murs. Ainsi, en réaction contre les immenses parois de béton qui l'entourent, l'idée d'un grand disque d'un rouge puissant s'imposa à moi pour le grand mur. Sa réplique, sur le petit mur, serait un croissant bleu, dicté par l'espace plus res¬ treint, plus intime dans lequel il était prévu. J'ai cherché une expression brutale dans le grand mur, une suggestion plus poétique dans le petit. Ainsi furent dessinées et peintes des petites maquettes au l/100e qui furent soumises à un comité responsable et agréées. La deuxième étape de ce travail, ce fut la recherche, avec Artigas, des moyens tech¬ niques de la réalisation en céramique de mon projet. Aucun céramiste n'avait eu à se mesurer à une de cette envergure. De plus, il fallait également prévoir la résis¬ tance des matières aux différences de tem Photo Catala Roca, Unesco pérature, à l'humidité et à l'insolation, puisque les deux murs devaient être situés à l'extérieur, sans aucune protection. Tous ces problèmes étaient extrêmement difficiles à résoudre et il n'y avait sans doute qu'Artigas pour pouvoir le faire. Llorens Artigas cherchait donc, comme un vieil alchimiste, les terres, les émaux de grès et les couleurs qu'il utiliserait. Cette recherche était une véritable création... Nous avons eu l'idée de faire le voyage de Santillana del Mar pour revoir les célèbres peintures pariétales d'Altamira et méditer devant le premier art mural du monde. Dans la vieille église romane, la « Collegiata » de Santillana, l'extraordinaire beauté de la matière d'un vieux mur rongé d'humidité nous a frappés d'émerveillement. Artigas s'en souviendra pour la matière de ses fonds. Après ce voyage aux sources, nous avons voulu également nous placer sous le signe des Romans catalans et de Gaudf. Le musée de Barcelone renferme d'admirables fresques romanes dont je n'ai pas cessé, depuis mes premiers travaux de peintre, d'entendre la leçon. Enfin, nous sommes allés rendre visite au parc de Guëll et là, un disque immense, ménagé dans le mur même et découvrant le rocher à nu, tout à fait semblable à celui que j'avais projeté de graver et de peindre sur le grand mur, frappa mon imagination. J'interprétai cette rencontre comme une confirmation et un encouragement... Artigas n'était, pas content de la matière du fond et la régularité géométrique des éléments lui paraissait dangereuse pour la sensibilité et la vie même de l'ceuvre. C'est alors qu'il se rappela le mur de la Collegiata et qu'il en retrouva, dans ses essais, la merveilleuse sensibilité. De même, les murs à appareil régulier de la vieille chapelle de Gallifa nous ouvrirent les yeux. Tout était à refaire avec des plaques aux dimensions différentes. Cette expérience malheureuse nous a couté 4 000 kg de terre, 250 kg d'émail et 10 tonnes de bois, sans compter le travail et le temps. La structure des plaques et la matière du fond étant maintenant trouvées, la première cuisson fut sans histoire. Mais en dépit des précautions qu'on peut prendre, le maître de l'muvre, en dernier ressort, est le feu ; son action est imprévisible et sa sanction redoutable. Difficulté supplémentaire : les grandes dimensions de la surface que je devais peindre. Certaines formes et certains traits devaient être tracés d'un seul mouvement, pour leur garder leur dynamisme et leur jaillissement originel. Je me suis servi, pour cela, d'un balai de fibres de palmier. Artigas retint son souffle quand il me vit saisir le balai pour tracer des formes de 5 à 6 mètres, risquant ainsi de compromettre le travail de plusieurs mois.'pérature, à l'humidité et à l'insolation, puis¬ que les deux murs devaient être situés à l'extérieur, sans aucune protection. Tous ces problèmes étaient extrêmement diffi¬ ciles à résoudre et il n'y avait sans doute qu'Artigas pour pouvoir le faire. Llorens Artigas cherchait donc, comme un vieil alchimiste, les terres, les émaux de grès et les couleurs qu'il utiliserait. Cette recherche était une véritable création... Nous avons eu l'idée de faire le voyage de Santillana del Mar pour revoir les célèbres peintures pariétales d'Altamira et méditer devant le premier art mural du monde. Dans la vieille église romane, la « Collegiata » de Santillana, l'extraordinaire beauté de la matière d'un vieux mur rongé d'humi¬ dité nous a frappés d'émerveillement. Arti-'gas s'en souviendra pour la matière de ses fonds. Après ce voyage aux sources, nous avons voulu également nous placer sous le signe des Romans catalans et de Gaudi. Le musée de Barcelone renferme d'admirables fres¬ ques romanes dont je n'ai pas cessé, depuis mes premiers travaux de peintre, d'en¬ tendre la leçon. Enfin, nous sommes allés rendre visite au parc de Guëll et là, un disque immense, ménagé dans le mur même et découvrant le rocher à nu, tout à fait semblable à celui que j'avais projeté de graver et de peindre sur le grand mur, frap¬ pa mon imagination. J'interprétai cette ren¬ contre comme une confirmation et un en¬ couragement... Artigas n'était, pas content de la matière du fond et la régularité géométrique des éléments lui paraissait dangereuse pour la sensibilité et la vie même del'C'est alors qu'il se rappela le mur de la Collegiata et qu'il en retrouva, dans ses essais, la mer¬ veilleuse sensibilité. De même, les murs à appareil régulier de la vieille chapelle de Gallifa nous ouvrirent les yeux. Tout était à refaire avec des plaques aux dimensions différentes. Cette expérience malheureuse nous a coûté 4 000 kg de terre, 250 kg d'é¬ mail et 10 tonnes de bois, sans compter le travail et le temps. La structure des plaques et la matière du fond étant maintenant trouvées, la pre¬ mière cuisson fut sans histoire. Mais en dépit des précautions qu'on peut prendre, le maître del'en dernier ressort, est le feu ; son action est imprévisible et sa sanction redoutable. Difficulté supplémentaire : les grandes dimensions de la surface que je devais pein¬ dre. Certaines formes et certains traits de¬ vaient être tracés d'un seul mouvement, pour leur garder leur dynamisme et leur jaillissement originel. Je me suis servi, pour cela, d'un balai de fibres de palmier. Arti¬ gas retint son souffle quand il me vit saisir le balai pour tracer des formes de 5 à 6 mètres, risquant ainsi de compromettre le travail de plusieurs mois.'Novembre 1958 Novembre 1958 Extrait de « Derrière le Miroir z, numéros 107, 108, 109 ; Maeght, éditeur. Publié gréce d l'aimable autorisation des Editions Maeght. Extrait de « Derrière le Miroir », numéros 107, 108, 109 ; Maeght, éditeur. Publiégrâce à l'aimable autorisation des Editions Maeght. 8 JOAN MIRO (1893-1983), peintre, dessinateur, sculpteur et céramiste espagnol, l'une des figures les plus éminentes de l'art contemporain, se situa très tot dans la mouvance du surréalisme à Paris, où il vécut longtemps. En 1957, l'Unesco lui confia la décoration de deux murs, que le peintre appela « Le murdu Soleil » et'Le mur de la Lune » et dont il parle dans le présent article. JOAN MIRO (1893-1983), peintre, dessinateur, sculpteur et céramiste espagnol, l'une des fi¬ gures les plus eminentes de l'art contemporain, se situa très tôt dans la mouvance du surréa¬ lisme à Paris, où il vécut longtemps. En 1957, l'Unesco lui confia la décoration de deux murs, * que lepeintre appela « Le murdu Soleil » et « Le mur de la Lune » et dont Uparle dans le présent article. |