Le Courrier de l'Unesco n°1986-5 mai/jun
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m'« Regard de l'ange de la Vierge aux rochers, oeuvre que Léonard peignit à Milan (Musée du Louvre). Regard de l'ange de la Vierge aux rochers, suvre que Léonardpeignit à Milan (Musée du Louvre).'-\-'û te I il *< 1 ^-r Regard de la Joconde, ou Mona Lisa, peinture commencée vers 1501, à laquelle Léonard travailla plus de quatre ans (Musée du Louvre). Regard de la Joconde, ou Mona Lisa, pein¬ ture commencée vers 1501, à laquelle Léo¬ nard travailla plus de quatre ans (Musée du Louvre). < LA GLOIRE DE LA GLOIRE DE ES membres qui ne sont pas en mouvement doivent être des- « 4 Binés sans faire saillir les muscles. Si l'on agit autrement, on aura imité un sac de noix plutôt qu'une forme humaine. » Voilà l'une des notes de Léonard sur la peinture que l'on peut lire dans le second des manuscrits de Madrid récemment découverts et qui date des premières années du 16e siècle. Tous les éléments de la peinture de Léonard se trouvent dans les théories exposées dans ce manuscrit. Outre les notes sur la forme et la couleur, il faut étudier celles qui traitent de la lumière et de l'ombre et de la douce transition de la lumière à l'ombre. C'est l'essence même du fameux sfumato de Vinci. Lorsque dans les premiers temps de son activité picturale, Vinci traitait du problème de la lumière et de l'ombre, il consi- LES membres qui ne sont pas en mouvement doivent être des¬ sinés sans faire saillir les mus¬ cles. Si l'on agit autrement, on aura imité un sac de noix plutôt qu'une forme humaine. » Voilà l'une des notes de Léonard sur la peinture que l'on peut lire dans le second des manuscrits de Madrid récemment dé¬ couverts et qui date des premières années du 16e siècle. Tous les éléments de la peinture de Léo¬ nard se trouvent dans les théories exposées dans ce manuscrit. Outre les notes sur la forme et la couleur, il faut étudier celles qui traitent de la lumière et de l'ombre et de la douce transition de la lumière à l'ombre. C'est l'essence même du fameux sfumato de Vinci. Lorsque dans les premiers temps de son activité picturale, Vinci traitait du pro¬ blème de la lumière et de l'ombre, il consi dérait les objets en tant qu'entités géométriques et se préoccupait surtout de la gradation des ombres et de leur degré d'intensité. Après l'an 1500, il se soucie avant tout du jeu de la lumière et de l'ombre sur les objets en plein air, aussi tient-il compte de la couleur et des reflets. La lumière devient le véhicule qui fond les éléments du paysage en un passage harmonieux d'une couleur à l'autre. Le corps humain devient, lui aussi, partie du paysage. (On ne peut s'empêcher de penser à la Joconde, à la Vierge et à Sainte Anne, à Léda). Il est donc soumis aux phénomènes de réflexion, de réfraction et au jeu réciproque des ombres colorées, comme c'est le cas de n'importe quel objet placé sous la lumière du ciel. Ce qui se produit sous la projection d'un toit se vérifie aussi sous la projection du menton dans le visage humain. dérait les objets en tant qu'entités géométri¬ ques et se préoccupait surtout de la grada¬ tion des ombres et de leur degré d'intensité. Après l'an 1500, il se soucie avant tout du jeu de la lumière et de l'ombre sur les objets en plein air, aussi tient-il compte de la couleur et des reflets. La lumière devient le véhicule qui fond les éléments du paysage en un passage harmonieux d'une couleur à l'autre. Le corps humain devient, lui aussi, partie du paysage. (On ne peut s'empêcher de penser à la Joconde, à la Vierge et à Sainte Anne, à Léda). Il est donc soumis aux phénomènes de réflexion, de réfraction et au jeu réciproque des ombres colorées, comme c'est le cas de n'importe quel objet placé sous la lumière du ciel. Ce qui se produit sous la projection d'un toit se vérifie aussi sous la projection du menton dans le visage humain. L'une de plus belles observations de Vinci est celle qu'il a faite sur la façon dont le visage doit être représenté. Il conseille au peintre de composer le décor de façon à créer les effets de sfumato les plus délicats dans les ombres, ce qu'il nomme « la grâce des ombres graduellement privées de tout contour trop net. » Le décor est donné par les murs de maisons qui bordent la rue, par où pénètre la lumière : une lumière faite d'air sans éclat, diffuse et dorée comme celle de Giorgione. « La lumière, dit Léonard, aboutit sur le pavé de la rue et rebondit par réverbération sur les parties ombreuses des visages, les éclairant considérablement. Le faisceau de cette lumière du ciel délimite les toits, qui surplombent la rue, et le rayon lumineux éclaire jusqu'au voisinage — ou presque — de la naissance des ombres qui se trouvent sous les éléments du visage, et ainsi peu à L'une de plus belles observations de Vin¬ ci est celle qu'il a faite sur la façon dont le visage doit être représenté. Il conseille au peintre de composer le décor de façon à créer les effets de sfumato les plus délicats dans les ombres, ce qu'il nomme « la grâce des ombres graduellement privées de tout contour trop net. » Le décor est donné par les murs de mai¬ sons qui bordent la rue, par où pénètre la lumière : une lumière faite d'air sans éclat, diffuse et dorée comme celle de Giorgione. « La lumière, dit Léonard, aboutit sur le pavé de la rue et rebondit par réverbération sur les parties ombreuses des visages, les éclairant considérablement. Le faisceau de cette lumière du ciel délimite les toits, qui surplombent la rue, et le rayon lumineux éclaire jusqu'au voisinage ou presque de la naissance des ombres qui se trouvent sous les éléments du visage, et ainsi peu à Sourire de l'ange de la Vierge aux rochers. Sourire de la Joconde. Sourire de l'ange de la Vierge aux rochers. Sourire de la Joconde. HBH^^HHIB^^^^H 64 64
Regard de Saint Jean-Baptiste, peinture Regard de la Belle Ferronnière, portrait de de Léonard exécutée vers 1509 (Musée du femme dont la célébrité est aujourd'hui Louvre). éclipsée par celle de la Joconde. Regard de Saint Jean-Baptiste, peinture de Léonard exécutée vers 1509 (Musée du Louvre). Regard de la Belle Ferronnière, portrait de femme dont la célébrité est aujourd'hui éclipsée par celle de la Joconde. PEINDRE PEINDRE par Carlo Pedretti par Carlo Pedreta peu va se changeant en clarté, jusqu'à finir sur le menton avec les ombres insensibles de chaque côté. » Ce qui nous fascine, c'est « l'imprévisible Léonard ». Ce Léonard qu'on ne saurait deviner parce que ses notes ne sont rien d'autre que l'enregistrement d'une pensée mobile, si bien que ses leçons de peintre n'ont pas la raideur de l'enseignement académique mais la fraicheur d'une révélation... révélation d'un espace qui s'ouvre au-delà de ses tableaux mêmes. « Ce que je veux te rappeler, en ce qui concerne les visages, c'est que tu dois considérer comment, à diverses distances, diverses qualités des ombres se perdent et que seules demeurent quelques taches principales, telles la cavité de l'oeil et autres choses semblables ; et finalement le visage reste obscur, parce que les lumières qui sont faibles comparées aux ombres qui sont peu va se changeant en clarté, jusqu'à finir sur le menton avec les ombres insensibles de chaque côté. » Ce qui nous fascine, c'est « l'imprévisible Léonard ». Ce Léonard qu'on ne saurait deviner parce que ses notes ne sont rien d'autre que l'enregistrement d'une pensée mobile, si bien que ses leçons de peintre n'ont pas la raideur de l'enseignement aca¬ démique mais la fraicheur d'une révéla¬ tion... révélation d'un espace qui s'ouvre au-delà de ses tableaux mêmes. « Ce que je veux te rappeler, en ce qui concerne les visages, c'est que tu dois consi¬ dérer comment, à diverses distances, di¬ verses qualités des ombres se perdent et que seules demeurent quelques taches principa¬ les, telles la cavité de l'oil et autres choses semblables ; et finalement le visage reste obscur, parce que les lumières qui sont faibles comparées aux ombres qui sont moyennes, sont absorbées par l'obscurité. Si bien qu'à une certaine distance, les qualités et l'intensité des lumières et des ombres principales sont absorbées, et tout se confond en une ombre moyenne. Et voilà pourquoi les arbres et tous les objets paraissent, à une certaine distance plus sombres que s'ils se trouvaient proches de l'oeil. A partir de cette obscurité, l'air qui s'interpose entre l'ceil et l'objet rend cet objet plus clair, d'une teinte se rapprochant du bleu. Mais il bleuit plutôt dans les sombres que dans les clairs, où la "vérité des couleurs" est plus visible. » moyennes, sont absorbées par l'obscurité. Si bien qu'à une certaine distance, les qua¬ lités et l'intensité des lumières et des ombres principales sont absorbées, et tout se confond en une ombre moyenne. Et voilà pourquoi les arbres et tous les objets parais¬ sent, à une certaine distance plus sombres que s'ils se trouvaient proches de l'mil. A partir de cette obscurité, l'air qui s'inter¬ pose entre l'eil et l'objet rend cet objet plus clair, d'une teinte se rapprochant du bleu. Mais il bleuit plutôt dans les sombres que dans les clairs, où la "vérité des couleurs" est plus visible. » Octobre 1974 Octobre 1974 CARLO PEDRETTI a consacré à Léonard de nombreux écrits. L'article ci-dessus est inspiré de ses « Notes surfa peinture des Manuscrits de Madrid », un chapitre de son ouvrage sur Léonard de Vinci publié en 1968. CARLO PEDRETTI a consacré à Léonard de nombreux écrits. L'article ci-dessus est inspiré de ses « Notes surla peinture des Manuscrits de Madrid », un chapitre de son ouvrage sur Léo¬ nard de Vinci publié en 1968. Le visage et le corps humain sont définis par la lumière dans laquelle ils baignent : c'est là ce que précisent les notes du Codex de Madrid il, dans lesquelles Léonard s'attache à tous les jeux de réflexion et de réfraction de la lumière ambiante, eta ceux des ombres colorées, comme essentielle « vérité des couleurs ». D'où l'étonnante parenté des divers visages qu'il peignit, et dont la macrophotographie révèle, notamment dans le regard et le sourire, l'unité de conception. A la vigueur du modelé s'allient la profondeur du regard (les yeux sont exécutés par passages de plans de plus en plus sombres) et le singulier, le mystérieux sourire (celui de la Joconde a inspiré des pages de commentaires). Dans ce Codex, Léonard conseille au peintre un subtil fondu des ombres, « la grâce des ombres graduellement privées de contours trop nets », livrant par le secret de l'expression si délicatement nuancée qu'il sut donner à ses modèles. Le visage et le corps humain sont définis par la lumière dans laquelle ils baignent : c'est là ce que précisent les notes du Co¬ dex de Madrid II, dans lesquelles Léonard s'attache à tous les jeux de réflexion et de réfraction de la lumière ambiante, età ceux des ombres colorées, comme essentielle « vérité des couleurs ». D'où l'étonnante parenté des divers visages qu'ilpeignit, et dont la macrophotographie révèle, notam¬ ment dans le regard et le sourire, l'unité de conception. A la vigueur du modelé s'al¬ lient la profondeur du regard (les yeux sont exécutés par passages de plans de plus en plus sombres) et le singulier, le mystérieux sourire (celui de la Joconde a inspiré des pages de commentaires). Dans ce Codex, Léonard conseille au peintre un subtil fondu des ombres, « la grâce des ombres graduellement privées de contours trop nets », livrantparlà le secret de l'expression si délicatement nuancée qu'il sut donner à ses modèles. Sourire de Saint Jean-Baptiste. Sourire de la Belle Ferronnière. Photos Musée du Louvre Sourire de Saint Jean-Baptiste. Sourire de la Belle Ferronnière. Photos Musée du Louvre 65



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