Hétérophobie et racismes Hétérophobie et racismes par Albert Memmi par Albert Memmi 14 14 T RENTE ans d'observation et de réflexions, de recherches et d'enquêtes « sur le terrain » m'ont convaincu que cette affaire du racisme est une planche pourrie. Je ne parle pas seulement de l'aspect moral, mais de la simple logique. La nature biologique actuelle de l'homme s'est constituée et continue de se constituer dans de continuels métissages. De sorte que la notion de pureté apparaît ici comme une métaphore, un vœu ou un fantasme. Non que les hommes ne soient pas différents : ils le sont culturellement et même biologiquement. Mais, d'une manière surprenante, la science la plus récente révèle au contraire un tel émiettement de de la différence qu'il est impossible de faire coïncider un groupe social avec une quelconque figure biologique unique. La notion de supériorité n'est pas plus fonctionnelle. A supposer qu'il existe une supériorité biologique, rien ne montre qu'elle entraîne une supériorité psychologique ou culturel- TRENTE ans d'observation et de ré¬ flexions, de recherches et d'enquêtes « sur le terrain » m'ont convaincu que cette affaire du racisme est une planche pourrie. Je ne parle pas seulement de l'as¬ pect moral, mais de la simple logique. La nature biologique actuelle de l'homme s'est constituée et continue de se constituer dans de continuels métissages. De sorte que la notion de pureté apparaît ici comme une métaphore, unvou un fan¬ tasme. Non que les hommes ne soient pas différents : ils le sont culturelîement et même biologiquement. Mais, d'une ma¬ nière surprenante, la science la plus récente révèle au contraire un tel émiettement de de la différence qu'il est impossible de faire coïncider un groupe social avec une quel¬ conque figure biologique unique. La notion de supériorité n'est pas plus fonctionnelle. A supposer qu'il existe une supériorité bio¬ logique, rien ne montre qu'elle entraîne une supériorité psychologique ou culturel le. Enfin, on ne voit guère pourquoi une supériorité naturelle quelconque doit entraîner des avantages économiques ou sociaux. Voulant, pour survivre, défendre son intégrité et ses biens et, à l'occasion, s'approprier ceux d'autrui, biens mobiliers et immobiliers, aliments, matières premières, territoires, femmes, biens réels ou imaginaires, religieux, culturels et symboliques, l'homme est à la fois agresseur et agressé, terrifiant et terrifié. Toutefois, ce refus agressif d'autrui n'est pas encore exactement du racisme. Le discours raciste s'élabore à partir de là et grâce à des données culturelles et sociales préexistantes. - On voit d'un côté que le racisme, c'est-àdire la prétendue supériorité raciale, fondée sur la prétendue pureté biologique, et devant procurer des avantages, n'est qu'une machine idéologique, un alibi, parmi d'autres, de la dominance et de l'expropriation. le. Enfin, on ne voit guère pourquoi une supériorité naturelle quelconque doit en¬ traîner des avantages économiques ou so¬ ciaux. Voulant, pour survivre, défendre son in¬ tégrité et ses biens et, à l'occasion, s'appro¬ prier ceux d'autrui, biens mobiliers et im¬ mobiliers, aliments, matières premières, territoires, femmes, biens réels ou imagi¬ naires, religieux, culturels et symboliques, l'homme est à la fois agresseur et agressé, terrifiant et terrifié. Toutefois, ce refus agressif d'autrui n'est pas encore exactement du racisme. Le dis¬ cours raciste s'élabore à partir de là et grâce à des données culturelles et sociales pré¬ existantes. - On voit d'un côté que le racisme, c'est-àdire la prétendue supériorité raciale, fon¬ dée sur la prétendue pureté biologique, et devant procurer des avantages, n'est qu'une machine idéologique, un alibi, parmi d'au¬ tres, de la dominance et de l'expropriation. C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire de mettre en lumière, à la fois cette généralité d'une conduite humaine, malheureusement trop commune, et cette singularité du racisme. Sans quoi, les faux problèmes du racisme continueront à obscurcir le drame permanent des refus agressifs d'autrui. Pour mieux marquer cette distinction, j'ai proposé de nommer ce refus terrifié et agressif par un mot nouveau : hétérophobie. Le terme de racisme serait dorénavant limité à'cette variété d'hétérophobie qui utiliserait la peur de la différence biologique et raciale pour justifier l'agression et le privilège. J'ai donc proposé la formule suivante qui a été adopté par l'Encyclopœdia Universalis et dont l'Unesco m'a fait l'honneur de s'inspirer pour sa propre définition : le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences biologiques, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime afin de justifier une agression. C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire de mettre en lumière, à la fois cette généra¬ lité d'une conduite humaine, malheureuse¬ ment trop commune, et cette singularité du racisme. Sans quoi, les faux problèmes du racisme continueront à obscurcir le drame permanent des refus agressifs d'autrui. Pour mieux marquer cette distinction, j'ai proposé de nommer ce refus terrifié ef agressif par un mot nouveau : hétéropho¬ bie. Le terme de racisme serait dorénavant limité à cette variété d'hétérophobie qui utiliserait la peur de la différence biologi¬ que et raciale pour justifier l'agression et le privilège. J'ai donc proposé la formule sui¬ vante qui a été adopté par l'Encyclop Universalis et dont l'Unesco m'a fait l'hon¬ neur de s'inspirer pour sa propre défini¬ tion : le racisme est la valorisation, générali¬ sée et définitive, de différences biologiques, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusa¬ teur et au détriment de sa victime afin de justifier une agression. |