théâtre 4 la terrasse 281 novembre 2019 critique La dernière bande Athénée Théâtre Louis-Jouvet/DE Samuel Beckett/MES Jacques Osinski Ce fut l’un des moments impressionnants de la dernière édition du festival Off d’Avignon. Le comédien Denis Lavant, dans La dernière bande de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski. Une proposition d’une densité rare, à voir à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Chaque année, le jour de son anniversaire, Krappenregistre sur une bande magnétique les réflexions qui lui viennent à l’esprit en repensant à l’année qu’il laisse derrière lui. Chaque année également, parallèlement aux jaillissements de ses soliloques, il pioche au sein de vieux cartons pour en sortir des bandes enregistrées tout au long de son existence, dans les mêmes circonstances. Il se met alors à réécouter des extraits de ces archives sonores, confrontant la matière de son passé – qu’il commente par le biais de paroles ou d’expressions bougonnes, lasses, dépitées, moqueuses… – à celle de son présent. C’est critique un homme profondément esseulé que Samuel Beckett convoque dans La dernière bande (pièce écrite à la fin des années 1950, publiée aux éditions de Minuit). Un écrivain sans œuvre et sans carrière dont Denis Lavant s’empare avec le talent et l’intelligence qu’on lui connaît. Une apnée stupéfiante Sous la direction du metteur en scène Jacques Osinski, le comédien révèle non seulement l’acuité des mots de Samuel Beckett, mais aussi la puissance des silences, des gestes et des situations qui participent à la grandeur de son écriture. Tout commence par une apnée Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre/L’Affaire de la rue de Lourcine La Tempête/textes de Ivan Viripaev puis Eugène Labiche/MES Frédéric Bélier-Garcia Frédéric Bélier-Garcia dirige finement ses acteurs dans deux pièces qui ont en commun l’enquête policière, le vaudeville et l’absurde. « Qui est venu passer l’après-midi du lundi avec Sarra ? » se demande son mari, Robert. Si c’était Markus, comme elle le prétend, pourquoi l’ami du couple, Donald, soutient que ledit Markus était chez lui ? Tel est le point de départ de la pièce d’Ivan Viripaev, qui signe une comédie aussi cocasse qu’absurde, où les personnages peuvent manger des index, tenir des propos antiféministes ou réagir tragiquement à une pluie de trois jours. Mais la comédie aux allures de vaudeville vire rapidement à la fatigue ontologique tandis que la vérité reste toujours fuyante. Dans Les Guêpes de l’été nous piquent toujours en novembre, on ne saura pas à la fin où était le fameux Markus ni même si les trois amis n’auraient pas joué à un jeu qui se termine en rires et en chatouilles. La fin reste ouverte et mystérieuse, sans doute la meilleure façon d’illustrer l’angoisse métaphysique très présente dans cette pièce héritière de Sarraute, Pinter ou Beckett. Une mise en miroir réussie Des références évidemment absentes chez Labiche, né quelque 159 ans avant Viripaev, même si Frédéric Bélier Garcia voit en L’Affaire de la rue de Lourcine ce même « face-à-face avec notre golem personnel, notre être désastreux ou ‘désastré’, cette pelote de fils emmêlés tissée de nos obsessions, nos peurs, nos fantasmes, nos manquements, nos défaillances. » De fait, les personnages de la pièce de Labiche, Jean-Charles Clichet, Camille Chamoux et Stéphane Roger dans Les Guêpes… eux aussi, recherchent frénétiquement la vérité, à savoir : les deux amis Lenglumé et Mistingue ont-ils, au cours d’une soirée arrosée, assassiné une petite charbonnière ? Frédéric Bélier Garcia présente les deux pièces dans un décor quasi identique, et prend quelques libertés avec la comédie de Labiche : la chicha et le cambouis remplacent la pipe et le charbon, le texte est raccourci et débarrassé des « sapristi » et autres mots fleurant le xix e siècle. Outre un rythme allegro, il en résulte une modernité qui épouse parfaitement celle de Viripaev, au point que la phrase de la pièce de Labiche, « Il y a une lacune dans mon existence », pourrait aussi bien figurer dans l’autre. Sans forcer le trait, le metteur en scène réussit son pari de mettre en miroir ces deux pièces écrites à plus d’un siècle d’écart, avec pour principaux atouts ses comédiens, finement dirigés, notamment le trio Camille Chamoux, Jean-Charles Clichet et Stéphane Roger qui passent aisément d’une écriture à l’autre, de situations vaudevillesques au vide existentiel, du rire à la mélancolie. Isabelle Stibbe La Tempête, la Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Du 8 novembre au 1er décembre 2019. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Tél. 01 43 28 36 36. Spectacle vu au Quai d’Angers en octobre 2019. Durée : 1h45. Pascal Victor/ArtcomPress |