12/N°154/janvier 2008/la terrasse festival• focus• festival le standard idéal à la mc93 du 8 au 24 février Le point de confrontation de tous les regards Intimement lié à l’identité de la MC93 – maison depuis toujours ouverte sur le monde – le festival Le Standard idéal propose pour la cinquième année consécutive de découvrir, à Bobigny, des artistes d’autres pays, des esthétiques scéniques issues d’autres cultures, des représentations témoignant d’autres formes de théâtre. Du 8 au 24 février, Allemands, Argentins, Belges, Bulgares, Catalans, Français, Grecs et Néerlandais se succéderont sur les scènes de la Maison de la Culture de la Seine-Saint-Denis pour cristalliser les mystères et les secrets de l’art dramatique, mais aussi du spectacle musical… rencontre/Patrick Sommier Bousculer les esprits et susciter la réflexion Homme du dépassement des frontières, le directeur de la MC93 a fondé Le Standard idéal dans un esprit de découverte, d’ouverture et de transmission. Qu’est-ce qui vous a porté vers le théâtre de Molière ? Dimiter Gotscheff : J’ai fait la connaissance de ce théâtre grâce à Benno Besson, qui mettait en scène certaines pièces de Molière, dont le Tartuffe, au moment où je suis arrivé en Allemagne de l’Est pour faire mes études. Comme Tchekhov ou Müller, il fait partie des auteurs qui m’accompagnent depuis longtemps. Molière et Müller ont en commun d’être des auteurs très subversifs. Cet esprit de subversion s’exprime principalement à travers leur goût pour la farce. Je crois que c’est pour cela que je m’intéresse aux comédies de Molière. Son langage est extrêmement précis : il s’en sert comme d’un scalpel pour disséquer le monde qui l’entoure. Dans quelle mesure ce monde nous concerne-t-il encore aujourd’hui ? D. G. : Quelques siècles n’ont pas fondamentalement bouleversé la généalogie de l’homme. Ce qui Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par Le Standard idéal depuis sa création ? Patrick Sommier : Je crois qu’il a bien grandi, et qu’il a aujourd’hui atteint l’âge adulte. La quatrième édition, la saison dernière, a été un grand succès. Il n’y avait plus une place à vendre. Ce n’est évidemment pas le seul critère à prendre en compte, mais c’est tout de même un bon baromètre. Et puis, il me semble que ça a été un festival personnage : dans cette mise en scène, il vient de loin, du tiers-monde d’une certaine manière, et il va décomposer une famille qui, elle, représente le premier monde, le monde de l’abondance. C’est certaientretien/Dimiter Gotscheff Un cauchemar coloré Après le succès d’Ivanov, Dimiter Gotscheff revient au Standard idéal avec der Tartuffe, pièce à travers laquelle le metteur en scène bulgare examine une famille bourgeoise se prenant les pieds dans les attributs de sa pompe et de sa vacuité. m’intéresse, c’est la cellule familiale : en quoi consiste-t-elle, comment fonctionne-t-elle, qu’est-ce qui la maintient ? Chaque famille vit avec un secret enfoui dans ses bas-fonds, quelque chose qui la ronge. Tout le monde possède une sorte de « cassette » qui, comme celle d’Orgon – c’est l’interprétation que nous en faisons – contient un secret compromettant. Quels enjeux dramaturgiques souhaitez-vous mettre en lumière à travers votre mise en scène ? D. G. : Outre la question de la cellule familiale, c’est sans doute la thématique religieuse qui importe aujourd’hui. Car, dans le Tartuffe, la foi se révèle être un phénomène hystérique, qui prend une certaine forme chez Orgon, une autre chez Madame Pernelle. La pièce dévoile un monde extrêmement creux, où la religion n’est qu’un masque. Et Tartuffe se sert de ce masque très consciemment. Mais nous avons souhaité attribuer une autre biographie à ce gros plan/Dieu comme patient - Ainsi parlait Isidore Ducasse La poésie torturée de Lautréamont Matthias Langhoff s’empare des Chants de Maldoror. Matthias Langhoff est un artiste à rebrousse-poil. Hardi, indocile, décidément rebelle aux injonctions des bonnes mœurs théâtrales comme des conformismes politiques, il gratte, démange, voire écorche vif le plastron d’un art gentiment ajusté dans le costume des conventions. Chez lui, la démesure joue avec rigueur, l’audace tance l’érudition pincée et la glose fanfaronne. S’il brutalise parfois les textes, c’est pour les débarrasser de l’encaustique des exégèses racornies par les ans et en redonner tout l’éclat tranchant. Et aussi pour dérouter le regard hors des rivets de l’habitude. « Le théâtre est l’art d’organiser le scandale », clame-t-il. « Il doit révéler le scandaleux et l’obscène que le monde s’efforce de cacher, les inégalités, les injustices, les brutalités, et tout notre système. Afin que cela ne demeure pas enseveli, oublié mais soit dénoncé. A tout le moins, un spectacle doit déranger. » * Voilà donc que Matthias Langhoff s’attaque aujourd’hui à Photo : D. R. enthousiasmant, exaltant, polémique, qui a suscité des discussions vives, engagées… Un festival, c’est aussi fait pour bousculer les esprits. Le Standard idéal est le temps d’une réflexion approfondie sur le théâtre. Car regarder des théâtres qui viennent d’ailleurs, qui ne fonctionnent pas comme le nôtre, qui n’ont pas le même rapport aux œuvres, est bien sûr un acte de découverte, mais aussi une façon de mettre en perspective, d’interroger ce qui se passe chez nous. Finalement, le regard que l’on porte sur l’autre est toujours également un regard que l’on porte sur soi-même. Quel ancrage avez-vous souhaité donner à Le tableau radical et pessimiste d’une société de l’abondance. « Molière se sert de son langage comme d’un scalpel pour disséquer le monde qui l’entoure. » Dimiter Gotscheff une œuvre profondément farouche : Les Chants de Maldoror, publiés en 1869 par un mystérieux comte de Lautréamont, alias Isidore Ducasse. Rébellion contre Dieu Géniale et déconcertante, cette œuvre sonne la rébellion de l’homme contre Dieu, « l’éternel à face de vipère » créateur du monde. Le metteur en scène s’empare à sa manière de cette poésie torturée par la fureur blasphématoire et les maléfices imaginaires, l’entrelardant de films, de rap, de musique de Milhaud et de chansons de Jim Morrison. « C’est au comte de Lautréamont qu’incombe peut-être la plus grande part de l’état de Matthias Langhoff. choses poétique actuel : entendez la révolution surréaliste », confiait André Breton. Quelle révolution nous prépare Matthias Langhoff ? Gwénola David *Matthias Langhoff, entretien par Odette Aslan, éd. Actes Sud-Papiers-CNSAD. Dieu comme patient - Ainsi parlait Isidore Ducasse Work in progress (spectacle en français), d’après Lautréamont ; montage et mise en scène de Matthias Langhoff. Du 16 au 19 février 2008. cette cinquième édition ? P.S. : Nous sommes partis sur l’idée du regard des frontières sur la France (littérature, théâtre...). Puis le champ s’est étendu à la Grèce, pays de la tragédie et de la solitude et à la Catalogne, une autre frontière. Et puis le Standard idéal flirtera cette année encore avec le théâtre musical, parce que, entre l’abstraction de la musique et le mystère du théâtre se crée une des alchimies les plus fortes du spectacle. Ce festival des frontières cherche à passer l’intransmissible.. Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat nement une nouvelle lecture, mais nous ne l’avons pas simplement plaquée sur la pièce. Toute cette énergie criminelle, qui est le moteur de Tartuffe, nous a fait beaucoup réfléchir. La question qui se pose, à présent, est de savoir d’où vient cette pulsion, et ce que ce personnage recherche vraiment dans cet environnement social qui lui est étranger. Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat (traduction Barbara Engelhardt) Der Tartuffe (spectacle en allemand surtitré), d’après Molière ; mise en scène de Dimiter Gotscheff. Du 8 au 10 février 2008. Harmonie désastres Meret Becker s’unit au trio Ars Vitalis pour un spectacle pétillant et plein de surprises. Un monde de poésie ludique et musicale. Meret Becker aime à brouiller les genres, flouter les apparences, parfois répandre un air de crépuscule tigré de rêveries vénéneuses. La chanteuse et comédienne berlinoise dessine dans les volutes de sa voix, sensuelle ou innocente, de temps à autre mélancolique, un univers singulier de poésie musicale. Habituée du Standard idéal, elle s’est unie à Ars Vitalis, un trio peu Photo : Arno Declair Photo : Christoph Verbrüggen |