26/Théâtre/Critiques Les Solitaires intempestifs Le 14 février 2007, Lagarce aurait eu cinquante ans. Happé par la maladie en 1995, avant l’avènement de son imposante reconnaissance, l’auteur de Juste la fin du monde, Derniers remords avant l’oubli, Le Pays lointain, est aujourd’hui célébré à travers « L’année (…) Lagarce », série de manifestations initiée en août 2006*. Prenant part à cet hommage, Josanne Rousseau présente Les Solitaires intempestifs, un montage d’extraits de textes et de répliques aboutés, de micro-fragments de pièces ou de romans, par le biais duquel la metteuse en scène souhaite « toucher au drame des vies », « [atteindre] le moment où tout peut lâcher, où tout lâche, le moment fragile que l’acteur nourrit de ses propres failles », « laisser affleurer sur le plateau sa fragilité, c’est-à-dire la question de son échec personnel autant que celle du bonheur ». S’épousant, se heurtant, se cherchant, se déchirant, se marginalisant, les hommes et les femmes réunis par Lagarce – forme de « tribu sous la lune » – se voient immanquablement renvoyés au désenchantement de quêtes et d’aspirations humaines infructueuses. Un herbier littéraire « [à la] désinvolture et [au] kitsch avoués » CRITIQUE D’apartés digressifs en joutes contradictoires, d’airs de clarinette en projections amoureuses, de romances fredonnées en doléances ressassées, Josanne Rousseau confectionne un camaïeu de situations à la mélancolie vaporeuse, un fondu enchaîné de perspectives douces-amères, volontairement désuètes. Se dégage de tout cela une impression de vague à l’âme dont l’éclat et les possibles encoignures restent parfois en suspens, entre langueur et mélancolie. De Belle du Seigneur à Hedda Gabler ou La Dame aux camélias, la distribution réunie par la metteuse en scène a parfois du mal à ciseler les enjeux intimes, les contrastes et les mises à distance entretien Cendre Chassanne Le Triomphe de l’amour : de la sécheresse à l’efflorescence Vous envisagez Le Triomphe de l’amour comme « une pièce totalement à part » dans l’œuvre de Marivaux. En quoi réside cette singularité ? Cendre Chassanne : Contrairement à d’autres textes de Marivaux, Le Triomphe de l’amour ne rend pas compte d’une expérimentation, mais défend un projet. Un projet amoureux et politique mené par une princesse, Léonide, qui élabore un stratagème afin de restituer son trône à Agis, l’homme qu’elle aime. Tout cela s’opère au cœur d’un jardin et non dans des salons. La jeunesse prend le pouvoir comme si elle était accompagnée par la nature, comme si, à travers elle, la nature reprenait ses droits… Il y a dans cette aventure quelque chose d’extrêmement hédoniste. Et c’est en ce sens que cette pièce conduit à un autre endroit que Les Fausses confidences ou Le Jeu de l’amour et du hasard par exemple, qui sont des comédies plus sociales. Bien sûr, les frottements sociaux existent également dans Ne sortez plus sans votre carte Club Bouche à Oreille : 1 place achetée = 1 place offerte à chaque sortie. Voir page 42. Kafka, Guibert, Tchekhov, Handke, Ibsen, Cohen, Strindberg… A travers un collage sur le couple et ses désillusions, Jean-Luc Lagarce dessine le panthéon de ses affinités littéraires. existentielles qui souhaiteraient sourdre de la représentation. Néanmoins, revigorés par la sincérité d’un comédien, la vivacité d’un échange, l’étrangeté d’un regard, ces Solitaires intempestifs (titre tiré de Par les Villages d’Handke, qui donne également son nom à la maison d’édi- Des noces, des rires, avant des lendemains qui déchantent. tion que Lagarce fonda avec François Berreur en 1992) portent l’empreinte d’un spectacle franc et sans chichis qui offre au tombeau de Lagarce la nostalgie d’un hommage en fragments. Manuel Piolat Soleymat * Programme complet sur www.lagarce.net Les Solitaires intempestifs, collage de Jean-Luc Lagarce ; mise en scène de Josanne Rousseau. Du 15 au 26 janvier 2007 à 20h, le dimanche à 16h. Théâtre du Chaudron, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 28 97 04. Spectacle vu à l’Apostrophe, scène nationale Cergy-Pontoise. Le Triomphe de l’amour, mais je ne pense pas qu’ils représentent le centre de cette pièce. Quel en est donc le centre ? C. Ch. : La guerre d’amour – qui est également une guerre politique – que Léonide mène contre le vieil « establishment », contre un monde ancien figé dans des règles de violence et d’austérité. Selon ces règles, la restitution du pouvoir à Agis ne peut passer que par le complot et le coup d’état. Or, le nouveau monde caractérisé par Léonide ne situe son combat qu’à l’endroit de l’amour : sa guerre n’engage que les cœurs. Et puis ce que je trouve très beau, c’est qu’à travers le jeu de travestissements et de miroirs que Marivaux met en place, se crée quelque chose d’absolument merveilleux, de presque irréel. D’une certaine façon Le Triomphe de l’amour me fait penser au Songe d’une nuit d’été… Il y a du philtre d’amour dans cette pièce-là, beaucoup de féerie. Cupidontraverse le ciel, des charmes opèrent… |