6 La prévention du suicide est une priorité majeure de la politique de santé mentale mise en œuvre en France. « Implanter sur le territoire des outils efficaces en prévention du suicide » Entretien avec Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. La Santé en action : Quel est le rôle de cette délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie que vous dirigez depuis 2019 ? Franck Bellivier : Je reste chef du service de psychiatrie et de médecine addictologique de l’hôpital Lariboisière que j’ai rejoint en 2012 pour développer un nouveau projet hospitalier ; il s’agissait de rassembler des compétences pluridisciplinaires pour traiter les cas complexes de troubles de l’humeur et d’addictions. Je dirige une unité de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur l’optimisation thérapeutique des traitements psychotropes. Notre projet sur le développement de marqueurs biologiques pour prédire la réponse au lithium, en collaboration avec neuf pays, a été lauréat du programme européen Horizon 2020 Research and Innovation 1. La santé mentale est une priorité qui s’incarne dans la feuille de route de juin 2018. Pour crédibiliser la démarche, une équipe dédiée est chargée de la mettre en œuvre sous ma responsabilité. Elle est composée d’un secrétaire général qui apporte son expertise technique et administrative, et d’un cadre dédié à la veille sur les leviers et les méthodes de conduite du changement, notamment à l’étranger ; un second cadre aura vocation à accompagner les projets territoriaux de santé mentale, en appui aux agences régionales de santé, puisque la déclinaison de la feuille de route sur le terrain revient aux acteurs locaux. S. A. : Quels sont les points novateurs de la feuille de route « Santé mentale et Psychiatrie » dans le champ de l’action publique ? F. B. : Ce document programmatique défend une approche holistique de la santé mentale, c’est son côté novateur. L’objectif est de réorganiser le schéma classique de la prise en charge des patients, dont les actions principales – la prévention, l’offre de soin et la réinsertion – fonctionnaient jusqu’à présent en silo. Il s’agit de construire des parcours de soin en santé mentale qui mobilisent, en même temps et sur le long terme, ces trois ressources. Par exemple, ce n’est pas parce qu’une personne bénéficie d’un suivi psychiatrique qu’il faut arrêter l’accompagnement sur la prévention des addictions ; de même, les ressources visant à lutter contre la désinsertion (sociale, affective, professionnelle) doivent s’exercer dès le début du parcours de prise en charge. C’est à l’échelle préférentielle des départements que la mise en œuvre de cette nouvelle organisation sera pertinente, dans l’élaboration des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) qui visent à intégrer l’ensemble des ressources (prévention, sanitaires, médico‐sociales et sociales) pour l’élaboration de ces parcours. Ces projets devront tenir compte d’une démographie médicale qui va rester difficile pendant encore une dizaine d’années. Leur conception doit impliquer les usagers, selon le principe « rien pour nous sans nous ». Ils doivent soutenir le développement de pratiques plus respectueuses des droits des malades, selon des recommandations en vigueur depuis déjà plusieurs années. S. A. : Quelles sont les actions de prévention du suicide mises en place dans le cadre de la politique de santé mentale ? F. B. : La prévention du suicide est une priorité depuis vingt ans et les chiffres des décès par suicide en France demeurent préoccupants. Il y a une volonté politique ainsi qu’une mobilisation de la communauté soignante pour implanter sur le territoire des outils efficaces en matière de prévention, tel le dispositif VigilanS en cours de déploiement, qui prévient la récidive en organisant un maintien du contact et un suivi des personnes ayant commis une tentative de suicide ; la dynamique est bonne puisque celui‐ci est réalisé à 50%. Papageno est L’ESSENTIEL ÇÇ En 2018, la France s’est dotée d’une feuille de route « Santé mentale et Psychiatrie », au sein de laquelle la prévention du suicide occupe une place première. Les outils efficaces en matière de prévention ont été identifiés, l’enjeu est désormais leur mise en œuvre. un programme pédagogique auprès des médias pour les sensibiliser à une façon de communiquer sur le suicide permettant de lutter contre la contagion suicidaire. La formation de « sentinelles » est également une initiative essentielle pour – dans la vie quotidienne, dans le milieu professionnel ou autre – repérer et orienter les personnes en souffrance. S’y ajoute un programme supplémentaire, portant sur les premiers secours en santé mentale dans le milieu étudiant, fondé sur le même principe ; des volontaires sont formés pour repérer leurs camarades qui ne vont pas bien et jouer le rôle de médiateur vers les soins. Voilà un ensemble de mesures complémentaires au service d’un projet sociétal qui implique un changement de regard de tous sur le suicide et sur la maladie psychiatrique. Propos recueillis par Nathalie Quéruel, journaliste. 1. Recherche et Innovation (NDLR). LA PERSONNE INTERVIEWÉE DÉCLARE N’AVOIR AUCUN LIEN NI CONFLIT D’INTÉRÊTS AU REGARD DU CONTENU DE CET ARTICLE. |