32 d’intervention ayant prouvé leur efficacité. C’est pourquoi l’étude s’est attachée à comparer trois types d’interventions menées auprès des jeunes en milieu scolaire : le Professional Screening 1 (ProfScreen) identifie par questionnaire des élèves à risque qui sont ensuite convoqués pour un entretien clinique avec un psychologue ou un psychiatre ; Le Question, Persuade and Refer 2 (QPR) s’appuie sur des personnes ressources de l’établissement (enseignants, conseiller principal d’éducation – CPE, personnel de restauration scolaire, etc.) qui sont formées au dépistage et à l’orientation des adolescents à risque ; enfin le programme Awareness 3, qui est le programme initié avant YAM et dont découle ce dernier, repose sur une sensibilisation des jeunes aux problèmes de santé mentale, à leur prise de conscience et au développement de leurs capacités d’expression. L’intervention se déroule en trois phases : une présentation d’une heure en classe par un psychiatre ou un psychologue, suivie de deux séances d’1 h 30 de jeux de rôle et une heure finale de debriefing 4. Le principal message pour les adolescents est : « Tu peux agir pour améliorer la façon dont tu te sens. » S. A. : Quelle stratégie d’intervention est la plus probante au regard des résultats de cette première grande étude multinationale ? J.‐P. K. : Le programme Awareness a montré, et de loin, la plus grande efficacité. Cette méthode est la mieux acceptée par les élèves qui la plébiscitent, parce qu’elle implique leur participation active et leur permet d’exprimer leurs sentiments et leurs émotions. C’est un dispositif moins lourd que ProfScreen et moins aléatoire que QPR, lequel dépend beaucoup de la capacité des personnes‐ressources à aider les élèves, celle‐ci étant soumise à plusieurs variables comme le climat scolaire de l’établissement ou leur propre bien‐être. Les résultats statistiques sont également significatifs : comparé au groupe contrôle, Awareness est plus efficace que les autres méthodes de prévention pour faire baisser les tentatives de suicide et les L’ESSENTIEL ÇÇ Plusieurs programmes internationaux – dont Youth Aware of Mental Health (YAM), « Jeunes conscients de leur santé mentale » – ont permis de mettre en évidence un levier efficace en prévention du suicide et des idées suicidaires : la sensibilisation des jeunes aux problèmes de santé mentale, à leur prise de conscience et au développement de leurs capacités d’expression. idées suicidaires sévères. C’est aussi l’intervention qui offre le meilleur rapport coût/bénéfice pour la prévention du suicide et qui augmente les années de vie en bonne santé. Elle permet, plus que les autres méthodes, de faire un travail de prévention précoce et elle contribue à réduire la stigmatisation des maladies mentales. S. A. : Où en est le déploiement du dispositif Awareness‐YAM ? J.‐P. K. : Suite à l’étude Seyle, le programme Awareness a été breveté en YAM par l’Institut Karolinska. Il y a une formation à l’animation des jeux de rôle auprès d’un jeune public et un livret méthodologique traduit en plusieurs langues. Les profils formés sont généralement des psychologues, des éducateurs, des infirmiers scolaires, etc. À ma connaissance, YAM s’est déployé principalement en Angleterre ; il existe aussi dans deux états américains, en Australie, dans la région du Tyrol en Autriche et à Stockholm seulement, pour la Suède. En France, son déploiement tarde à se mettre en place. Les résultats de Seyle ont été présentés au ministère des Solidarités et de la Santé. Suite au troisième rapport de l’Observatoire national du suicide, la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » de 2018 a préconisé l’implantation de YAM 5 à titre expérimental dans trois régions françaises : l’Île‐de‐France, le Grand‐Est et la Normandie. Malheureusement, nous nous heurtons à des problèmes de financement et de logistique. S. A. : Qu’est‐ce qui pourrait permettre de faciliter sa mise en œuvre ? J.‐P. K. : Il faut à la fois une volonté politique et des porteurs de projet convaincus. La récente création d’un poste de délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie permettra peut‐être de changer la donne, je l’espère. Le problème qui affecte la psychiatrie, c’est qu’elle est isolée du reste de la médecine ; c’est un frein à la prévention. Les choses avancent tout de même grâce au dynamisme de certains acteurs. La Fondation Santé des Étudiants de France, à laquelle j’ai présenté ce dispositif, s’est déclarée intéressée ; elle envisage de l’expérimenter dans quelques‐uns de ses établissements de soins‐études, qui accueillent des jeunes de 13 à 21 ans connaissant des difficultés psychologiques et psychiatriques et chez qui le risque suicidaire est particulièrement important. C’est une population d’élèves particulière, mais cette expérience permettra peut‐être de relancer le processus dans les établissements scolaires publics généraux, comme cela était initialement prévu. Propos recueillis par Nathalie Quéruel, journaliste. 1. Traduction littérale : filtrage professionnel. Il s’agit d’un programme conçu par des professionnels, qui filtre les réponses à un questionnaire de base pour déterminer les seuils préétablis des symptômes psychopathologiques et des comportements à risque (NDLR). 2. Questionner, persuader et alerter (NDLR). 3. Sensibilisation (NDLR). 4. Réunion d’analyse d’un événement a posteriori (NDLR). 5. « Déployer le programme YAM (Youth Aware of Mental Health) de promotion de la santé mentale et de prévention des conduites suicidaires pour les adolescents en lien notamment avec l’Éducation nationale ». Source : Comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie. Feuille de route Santé mentale et psychiatrie. Ministère des Solidarités et de la Santé, 28 juin 2018 : p 8. En ligne : https://solidarites‐sante.gouv.fr/IMG/pdf/180628_‐_dossier_depresse_‐_comite_strategie_sante_mentale.pdf Il convient toutefois de préciser que le programme YAM est payant, ce qui est un frein conceptuel à son implantation en France. LA PERSONNE INTERVIEWÉE DÉCLARE N’AVOIR AUCUN LIEN NI CONFLIT D’INTÉRÊTS AU REGARD DU CONTENU DE CET ARTICLE. |