20 L’ESSENTIEL des échanges avec d’autres collègues lors du colloque annuel du Groupement d’études et de prévention du suicide (Geps). Le travail en binôme infirmier‐psychologue porte ses fruits. Ce sont des profils complémentaires qui s’enrichissent mutuellement : le psychologue a davantage de connaissances cliniques, tandis que l’infirmier a une meilleure connaissance des traitements médicaux et du réseau de soins. Dans les situations les plus complexes, cette complémentarité est un atout précieux. Les résultats sont bons ; les récidives ont baissé de plus de 10% dans le Jura. Le dispositif expérimental est pérennisé. Un projet de déploiement sur l’ex‐région Franche‐Comté est en réflexion. S. A. : Comment définiriez‐vous ce métier nouveau de vigilanseur ? Nicolas Thiriet : Il couvre des tâches multiples et variées, c’est ce qui en fait notamment son intérêt. Le cœur du métier, ce sont les appels téléphoniques au quotidien pour s’enquérir de l’état des personnes ayant fait une tentative de suicide et qui sont entrées dans le dispositif. Il y a, d’une part, les appels que nous passons à 10 jours, à 20 jours, à trois mois ; il y a également les appels que les patients passent spontanément au Numéro Vert qui leur est donné sur une petite carte. Et aussi ceux des professionnels de santé qui sont en face d’une situation préoccupante et qui cherchent des solutions. Les échanges avec les patients sont d’une durée variable, en moyenne trois quarts d’heure au premier appel, mais cela peut durer jusqu’à une heure et demie. Et il peut arriver, dans des cas extrêmes, de devoir appeler les secours et rester ÇÇ Le dispositif VigilanS est proposé à toute personne ayant fait une tentative de suicide. Il s’agit de maintenir un lien – téléphone, courrier – et de mettre en place le suivi le plus adapté si nécessaire. L’écoute téléphonique prend une grande part dans cet appui. Une équipe spécialisée dans la prévention de la récidive veille et assure un relais auprès des médecins généralistes et des autres professionnels impliqués. Au fil du temps, de plus en plus de professionnels en difficulté face à des patients en risque suicidaire s’adressent à VigilanS. Témoignage de professionnels du dispositif dans le Jura. en ligne jusqu’à ce que ces derniers aient pris en charge la personne. Il faut ensuite rédiger des comptes‐rendus détaillés qui sont envoyés au médecin traitant et/ou au psychiatre du patient. L’autre partie intéressante du métier, ce sont les séances d’information que nous dispensons auprès d’un large public : des professionnels de santé du département au personnel des structures médico‐sociales, des prisons, de l’Éducation nationale, etc. Nous nous déplaçons avec Nathalie en binôme sur l’ensemble du territoire. En outre, je dispense la formation « Évaluation et prise en charge de la crise suicidaire » auprès des soignants du centre hospitalier spécialisé (CHS), qui ont désormais l’obligation, dans leurs tâches, de repérer le risque suicidaire des patients hospitalisés. S. A. : Quelles sont les qualités nécessaires pour devenir « vigilanseur » ? N. T. : À 51 ans, j’avais envie de diversifier mon expérience professionnelle d’infirmier au sein d’une unité avec des patients et d’apprendre une nouvelle pratique. Il faut avoir une assez longue expérience clinique et de bons acquis théoriques en santé mentale, ainsi qu’une maîtrise de l’informatique afin de bien utiliser les logiciels nécessaires à notre activité. J’ai suivi la formation « Évaluation et prise en charge de la crise suicidaire » afin de me préparer à cette nouvelle fonction que j’occupe à mi‐temps depuis les débuts de VigilanS en 2016 ; pour le reste, je suis infirmier à l’hôpital de jour. La fonction de « vigilanseur » requiert plusieurs qualités, car elle est très diversifiée : il faut bien sûr un grand sens de l’écoute, être adaptable et réactif, avoir une bonne connaissance du réseau local de soins afin d’orienter les patients au mieux. Il faut aussi savoir travailler en équipe et en partenariat, être curieux intellectuellement, parce qu’on découvre beaucoup, et être bien motivé, parce que ce n’est pas toujours facile. Il est nécessaire d’avoir une clinique du souci 1 : la particularité de notre métier, c’est que les personnes en souffrance ne sont pas en face de nous ; nous gérons tout par téléphone. Cela demande une approche particulière, assez sensible. S. A. : À quelles difficultés vous heurtez‐vous principalement ? N. T. : La charge mentale est assez forte. Lorsque nous raccrochons, même si nous nous sommes assurés que le patient va aussi bien que possible, le contact est rompu. Or ce sont des personnes qui ont fait une tentative de suicide dix jours auparavant ; leurs difficultés n’ont pas disparu. C’est une bonne chose que les « vigilanseurs » ne le soient qu’à mi‐temps afin que cette responsabilité et ce souci ne pèsent pas trop. Le principal problème tient à la difficulté de tenir le planning prévisionnel des appels, puisque la durée de ceux qui sont prévus est variable et qu’il faut répondre à ceux, spontanés, des patients. Ces appels entrants sont imprévisibles : il peut y en avoir trois dans la journée ou aucun pendant toute une semaine. Nous donnons donc la priorité aux appels imprévus, tout en tenant le cap sur cet impératif d’appeler les patients à J + 10. S. A. : Quel regard portez‐vous sur cette expérience après trois ans de pratique ? N. T. : C’est une expérience valorisante, notamment grâce au retour positif des personnes que nous accompagnons, qui nous remercient au téléphone ou même par courrier de l’aide que nous leur apportons. Lorsque nous les appelons la première fois, elles sont persuadées qu’elles ne vont pas s’en sortir ; au bout de six mois, elles ont pris conscience que la crise suicidaire a un début et une fin. Par ailleurs, les éléments statistiques sont encourageants, puisque le nombre de récidives a diminué dans le Jura. Cela veut dire que nous faisons une mission utile. Et j’ai envie de la poursuivre.. Propos recueillis par Nathalie Quéruel, journaliste. 1. « […] on appelle la clinique du souci, cette posture psychique qui relève d’une éthique de l’inquiétude : se faire du souci pour l’autre, témoigner de ce souci envers la personne qui est en difficulté. » Source : Intervention du Pr Michel Walter, 4 es Rencontres nationales des Conseils locaux de santé mentale. Colloque organisé par l’association Élus, santé publique et territoires (ESPT), Bordeaux, janvier 2017 : p.109. En ligne : https://espt.asso.fr/wp‐content/uploads/2019/03/Actes‐18e‐JNE‐4e‐Rencontre‐CLSM‐ Talence.pdf LES PERSONNES INTERVIEWÉES DÉCLARENT N’AVOIR AUCUN LIEN NI CONFLIT D’INTÉRÊTS AU REGARD DU CONTENU DE CET ARTICLE. |