16 L’ESSENTIEL Dans une posture de prévention, il est efficace de rester en lien avec les personnes ayant fait une tentative de suicide. Le souci de l’Autre pour la prévention du suicide Dr Christophe Debien, responsable Hauts‐de‐France du dispositif VigilanS. « Je Ç Ému par les derniers écrits de personnes qui se sont suicidées, le psychiatre Jérôme Motto a eu l’idée de recontacter toutes les personnes ayant fait une tentative de suicide. Cette « sollicitude prévenante » qui caractérise ce qui est désormais appelé la « postvention » s’est développée depuis dans de nombreux pays dont la France avec notamment le programme VigilanS. vais aller sur le pont… » « …mais si quelqu’un me sourit en chemin, je ne sauterai pas. » C’est en découvrant ces quelques lignes griffonnées à la hâte par l’un de ses patients suicidés que Jérôme Motto, psychiatre à San Francisco, a eu l’idée de créer en 1969 un dispositif pour recontacter systématiquement, à la sortie des services d’urgence, des personnes ayant effectué une tentative de suicide. Une expérience fondatrice à l’origine d’un courant de prévention se revendiquant de l’éthique de l’inquiétude. La sollicitude prévenante : ce courant puise ses racines dans un ensemble de notions philosophiques empruntées à Heidegger, Ricœur ou encore Levinas qui prônent la sollicitude comme un devoir envers autrui [1]. Michel Cornu, philosophe suisse, a ainsi formulé l’éthique de l’inquiétude dont se sont emparés les pionniers des dispositifs de veille pour définir leurs objectifs principaux : maintenir un lien personnalisé avec l’individu en souffrance sans envahir son existence, veiller avec bienveillance sans surveiller. Solliciter une personne en souffrance, que ce soit par téléphone, par SMS (Short Message Service 1) ou encore par voie épistolaire, pour faire preuve d’une sollicitude prévenante – manifester de l’intérêt – sans être accaparante – vis-à-vis d’autrui. De la philosophie à la recherche De nombreuses expériences de par le monde ont fait preuve de leur efficacité. Se démarquant des dispositifs d’intervention classique, elles proposent un « rester en contact », un dispositif qui n’envahit pas le quotidien du suicidant, qui s’inscrit en parallèle d’une éventuelle prise en charge quand elle est indiquée, et qui fournit des outils ou des recours fiables et efficaces en cas de crise suicidaire. Ces travaux de case management 2 ont inspiré au pionnier du sujet, Jérôme Motto, la notion de connectedness 3 [2], c’est‐à‐dire le sentiment de rester en lien. Le maintien du contact avec le patient semble être d’autant plus efficace qu’il : est actif sans être laissé à la seule initiative du patient ; est régulier ; s’inscrit dans la durée ; est personnalisé [3]. Chacun de ces dispositifs de veille présente un intérêt plus net avec certaines catégories de suicidants, lorsque seuls des critères très simples sont considérés, comme le sexe et le nombre de tentatives antérieures. Ces dispositifs se démarquent également par un coût financier beaucoup moins lourd et donc une généralisation sur un territoire donné beaucoup plus aisée. Plusieurs moyens destinés à générer, renforcer ou soutenir ce sentiment de rester en lien ont ainsi été testés. L’envoi de courriers (« short letters 4 », selon Motto). Le pionnier de ces dispositifs de case management est sans conteste Jérôme Motto, qui proposa une stratégie de « recontacts » postaux et suivit son dispositif pendant quinze ans [2]. Il s’agissait d’une lettre courte, personnalisée (reprenant par exemple une anecdote relative au séjour ou au passage aux urgences), envoyée par une personne ayant rencontré le patient au cours d’un séjour hospitalier. Une enveloppe réponse non affranchie était fournie. Les envois se poursuivaient durant cinq ans pour un total de 24 lettres. La délivrance d’une « carte ressource prévention » (crisis card). Ce dispositif a été proposé par l’équipe anglaise de Bristol et s'est avéré plus particulièrement intéressant pour les sujets primosuicidants. L’intervention consistait à remettre à chaque suicidant, après mise en place du traitement habituel (qui pouvait être, selon l’évaluation initiale, un conseil, un rendez‐vous de consultation ou une hospitalisation en psychiatrie), une carte ressource mentionnant un numéro d’appel d’un professionnel disponible 24 heures sur 24 dans les six mois suivant le geste. L’envoi de cartes postales (« postcards » selon Carter). Proche de l’idée de Motto, une recherche australienne de 2005 (Edge project 2005) a testé l’envoi systématique et programmé de cartes postales pendant l’année suivant le geste suicidaire [4]. Le message était identique à chaque envoi : « Nous nous sommes rencontrés il y a quelque temps… en espérant que les choses vont mieux pour vous… n’hésitez pas à nous donner de vos nouvelles à l’occasion… » Les envois intervenaient aux 1 er, 2e, 3e, 4e, 6e, 8e, 10 e et 12 e mois. Le recontact téléphonique systématique des suicidants a été proposé par une équipe française et fut mené dans la région Nord – Pas‐de‐Calais |