RdD n°03 | Avril 2011 leurs praticiens ne peuvent ou ne veulent pas, voire ne cherchent pas, à expliquer. La faiblesse manifeste du « design thinking » est d’être ramené à la supposée créativité ou sensibilité propre du designer. Ce qui en définitif n’est pas très rigoureux si on se place dans un positionnement de chercheur. Concernant le cas plus local de la France, il est vrai que de plus en plus de jeunes designers et d’institutions s’intéressent à la perspective des études doctorales. Bien qu’étant concerné, j’avoue ne pas trop quoi en penser. Néanmoins, il ne faut pas omettre de replacer ce phénomène dans l’harmonisation européenne des cursus universitaire au système LMD (licence, mastère, doctorat), qui a provoqué un intérêt soudain des écoles d’art et de design envers le doctorat. En supprimant la place de l’ingénieur, Tim Brown espère que le designer pourrait faire un « meilleur travail » dans la conception de produits innovants à destination du grand public. Je ne partage pas ce point de vue. Mes travaux de recherche montrent plusieurs choses à ce sujet. D’une part, l’objectif du designer et du « scientifique » n’est pas toujours partagé, sauf quand le projet est véritablement pensé en commun. Le chercheur, le « scientifique » selon Tim Brown, ne travaille par pour créer les objets de demain. La recherche fonctionne dans un silo et le chercheur est motivé par l’apport de nouvelles connaissances, d’un nouveau savoir scientifique. D’autre part, ce qui pose parfois problème dans les coopérations entre designer et chercheur est l’absence des compétences de l’ingénieur. Le chercheur n’est pas là pour produire techniquement le prototype imaginé par un designer, ce que le plus souvent imagine ce dernier. De son 36 | www.larevuedudesign.com côté, l’ingénieur est bien celui qui rend disponible les avancées issues de la recherche pour le secteur industriel, et conséquemment au grand public. En ce sens il est en effet un traducteur, tout comme l’est le designer vis-à-vis du quotidien, sachant révéler des usages qui étaient jusqu’ici marginaux. Néanmoins, designer et « scientifique » peuvent très bien se retrouver autour d’un projet commun, et ceci sans qu’un ingénieur ne soit présent. Dans ce cas, l’intérêt est ailleurs. Il s’agit le plus souvent d’un travail de prospective, de critique, ou de « sonde ». Aussi, chacun sait je pense adapter son langage à l’autre tout en sachant que l’objectif du projet ne doit pas être tiré ni pour l’un ni pour l’autre. C’est typiquement en pensant en amont la teneur du projet collectif que chacun peut réellement s’y retrouver et éviter cette sensation de subordination, lorsque le designer est là pour le chercheur, ou inversement le chercheur est simplement la caution scientifique pour le designer et son projet. En ce sens, je pense qu’imputer à la figure de l’ingénieur ce problème de dialogue entre designer et « scientifique » est révélateur de la volonté actuelle d’accélérer à tout prix le processus d’innovation. Tim Brown semble désigner un fautif, un intermédiaire qu’il ne juge plus nécessaire et dont l’absence aurait comme effet d’accélérer l’innovation. Je ne cherche pas à mâcher mes mots : je trouve ça est un peu facile. Rentabilité à court terme oblige, je pense plutôt que dans cette histoire on se focalise de plus en plus sur la lettre « D » dans le sigle R et D, et ceci au détriment du « R ». Cet article est également paru sur le blog de Clément Gault : designetrecherche.org. |