554 REVUE DES DEUX MONDES.comme une mystification oppressive, et l'égalité un ignoble mensonge. » C'est un soufflet sur les deux faces de la nouvelle divinité. Il s'accompagne de cette explication : « Un déplorable exercice du suffrage universel a profondément vicié la raison populaire jusqu'alors préservée des sophismes constitutionnels et des complots parlementaires, concentrés chez les riches et les lettrés. Développant un aveugle orgueil, nos prolétaires se sont ainsi dispensés de toute étude sérieuse pour décider des plus hautes questions sociales. » Et ailleurs : « Les ravages intellectuels et moraux du régime constitutionnel, concentrés jusqu'alors dans le monde parlementaire et tout au plus étendus au monde électoral, se sont développés parmi nos prolétaires, dont ils ont gravement altéré la raison et la pureté par de misérables tactiques légales (1). » Mort en 1857, Comte n'a pu avoir qu'une très courte expérience du système nouveau ; elle lui a suffi pour en constater les effets et en prédire les conséquences. Pendant un demisiècle, les bruits du forum et de la tribune ont parlé plus haut que toutes les voix qui avertissaient, mais la série s'est déroulée, et, aujourd'hui, les faits parlent plus haut que tous les bruits. *** L'épreuve est faite, la preuve est faite. Le suffrage universel se résout en deux vices opposés, en deux calamités contraires. Ou la démence, ou l'atonie. Ou il emporte tout, ou il supporte tout. Point n'est besoin d'autre témoignage que ses deux dernières grandes consultations, les élections législatives du 11 mai 1924, les élections municipales des 3 et 10 mai 1925. En mai 1924, le corps électoral se trouvait en présence d'une Chambre sortante qui, bien qu'elle n'eût pas réussi à dégager entièrement son âme, non pas faute d'hommes, mais faute de chef, avait eu du moins le mérite de ne pas se livrer sans pudeur aux tentations de la réélection et le courage de suivre le Gouvernement à travers tous les sacrifices qu'il lui demandait. Cette fidélité, elle la lui avait gardée jusqu'à consentir, deux mois avant la date fatidique, des mesures rigoureuses, (1) Auguste Comte, Pensées et préceptes, recueillis et commentés par Georges Dsherm. |