550 REVUE DES DEUX MONDES. dait du prince. Puis on le retrouve au xvie, où Jean Bodin en donne cette définition : « la puissance absolue et perpétuelle d'une république » (c'est-à-dire d'un État). Il s'ennoblit au XVIIe siècle de toute la majesté de la couronne royale, dans Corneille, Pascal, Bossuet. Au XVIIIe siècle, Diderot le prend encore au sens du droit international. Pour rencontrer la « souveraineté » telle que l'imagine la démagogie, il faut attendre la venue de Jean-Jacques. Mais, par exemple, dès que celui-là arrive, quelle fanfare ! écoutez-le : « La volonté de tous est l'ordre, la règle suprême ; et cette règle générale et personnifiée est ce que j'appelle la souveraineté. » Ou bien : « Le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même. » Ou bien : « Le souverain, c'est la foule des individus réunis par le pacte social ; chacun est à la fois membre du souverain et soumis au souverain. La souveraineté n'est que la volonté générale et celle-ci est inaliénable. » Benjamin Constant, éclairé et.justement effrayé par les excès révolutionnaires, tente en vain (l'endiguer le torrent. « Lorsqu'on établit, fait-il remarquer, que la souveraineté du peuple est illimitée, on crée et l'on. lette au hasard dans la société humaine un degré de pouvoir trop grand par lui-même et qui est un mal, en quelques mains qu'on le place. » Il insiste : « La souveraineté du peuple n'est pas illimitée ; elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste. Les représentants d'une nation n'ont pas le droit de faire ce que la nation ne peut faire elle-même... L'assentiment du peuple ne saurait légitimer ce qui est illégitime, puisqu'un peuple ne peut déléguer à personne une autorité qu'il n'a pas. » Effort inutile. La doctrine de l'éloquent et spirituel publiciste est, du reste, aussi flottante que ses sentiments mêmes : elle a, comme ses convictions, « des détours un peu brusques ». Il veut bien limiter la souveraineté, ou mieux, il ne veut pas de la souveraineté illimitée ; mais il repousse le moyen qu'on avait pris alors pour. la limiter, en en échelonnant l'exercice. Au fond, il est toujours de l'opposition ; il en serait contre luimême. « Dès l'introduction de la représentation dans nos ins- |