528 REVUE DES DEUX MONDES. Histoire de la Guerre, y a eu maintes fois recours. Mais ils n'ont pas seulement une valeur de document. Cette beauté littéraire à laquelle ils prétendent si peu, ils y atteignent sans cesse, et au point d'égaler ou de surpasser parfois les plus fameux chefs-d'oeuvre du réalisme. Des gens qui ne s'égaient jamais mêlés d'écrire, s'y révèlent grands écrivains. Pourquoi ? Comment est-ce possible ? Oh ! ceci tient, je pense, à bien des causes. S'ils ont réussi dans une entreprise où ne s'étaient pas même essayés les soldats de l'ancienne France, c'est d'abord sans doute qu'aujourd'hui chez nous la culture intellectuelle est infiniment plus répandue qu'autrefois. Dans l'immense armée qui rassemblait toutes les classes sociales, il y avait une multitude d'hommes instruits, avertis, affinés, inconsciemment préparés par un siècle de roman réaliste et de roman psychologique à l'observation des choses et à l'analyse de soi, préparés aussi, habitués par le journal, par le reportage, à la recherche et à la notation du petit fait vrai. Ils avaient le goût du réel, et ils en avaient le sens. 11 ne se pouvait pas que la grandeur des événements au milieu desquels ils étaient brusquement jetés, ne vint développer, surexciter encore en eux cet instinct, cette curiosité du réel. S'il suffit pour devenir écrivain d'avoir, selon la vieille formule, « quelque chose à dire », qui donc a jamais pu avoir plus de choses à dire, et des choses plus frappantes, plus émouvantes, que ceux qui ont vécu de pareils jours ? Tous comprenaient, soyons-en bien sûrs, l'intérêt passionnant du spectacle qu'ils avaient sous les yeux, du formidable drame où ils étaient acteurs ; tous, ils comprenaient que le moindre détail en avait du prix ; et, sans songer à faire oeuvre d'art, sans autre souci que de dire tout ce qu'ils voyaient, tout ce qu'ils sentaient, de le faire voir et sentir à ceux de l'arrière, ce sont bien cependant des oeuvres d'art qu'ils ont créées, puisque ce sont des oeuvres vraies, puisqu'en les lisant nous croyons être auprès d'eux, puisqu'elles donnent cette entière illusion de réalité que l'objet même de l'art est de produire en nous, et dont seuls jusqu'ici les grands artistes avaient eu le secret. Qu'on en juge, d'ailleurs, par des citations. La difficulté, cette fois encore, n'est que de choisir. Commençons par Paul Lintier, par quelques-unes des notes qu'ils a prises pendant la bataille de la Marne. Son régiment qui s'est battu en août dans le Luxembourg belge, aux |