524 REVUE DES DEUX MONDES. Des récits de guerre, nous en possédions beaucoup, et depuis les âges lointains, depuis le temps des chansons de gestes jusqu'à celui de la Révolution ou de l'Empire. Nous en possédions beaucoup, parce que la France a eu souvent à se battre, parce qu'elle a eu souvent à défendre son sol si riche qui tentait les nations de proie, ou à défendre son génie, ses idées, qui alarmaient les vieilles monarchies, parce qu'elle a toujours été prête à servir toute cause généreuse, toujours prête à se donner. Des récits de guerre, j'en trouve chez nos auteurs de mémoires, chez nos historiens, chez nos romanciers et nos poètes, et je ne les renie pas, je sais pour ma part avec quel intérêt passionné je les ai lus jadis et relus. Je ne renie pas plus les Mémoires de Marbot et les Cahiers du capitaine Coignet, pas plus le Conscrit de 1813 ou Madame Thérèse, que les relations historiques de Thiers ou de Henry Houssaye, que les relations épiques de Victor Hugo. J'avoue même que je les sais encore à peu près par coeur. Voici, dans les Cahiers du capitaine Coignet, la division de Desaix qui accourt sur le champ de bataille de Marengo, tandis que le Premier Consul, debout sur le remblai de la route, fouette sa botte du bout de sa cravache : « Cette belle division arrivait l'arme au bras, on eût dit une forêt qui marchait... » Voici, dans le Conscrit de 1813, à la journée de Lützen, alors que nos troupes ont dû céder du terrain et reculer jusque dans le village de Laya, voici que le combat change de face Napoléon apparaît au sommet de la colline, coiffé du petit chapeau, vêtu de la redingote grise, le large ruban rouge en travers du gilet blanc, « calme, froid, comme éclairé par le reflet des baïonnettes » : « Tout pliait devant lui... » Ou bien encore, dans les Misérables, dans l'immortel récit de Waterloo, voici les cuirassiers de Milhaud qui escaladent les pentes de Dont-Saint-Jean : « Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d'un quart de lieue. C'étaient des hommes géants sur des chevaux colosses... » et la suite I Non, non, ne renions pas de telles pages où chante l'àme de la vieille France. Mais sachons bien que tous ces beaux récits ne nous donnaient de la guerre qu'une vision idéalisée, et sinon fausse, du moins incomplètement vraie. Ils étaient écrits par des poètes qui ne l'avaient vue qu'en imagination, ou écrits après coup, à bien des années de distance, par des retraités comme Coignet ou Marbot qui ne la voyaient plus qu'à travers |