516 REVUE DES DEUX MONDES. Aspirés au fond de leurs orbites, ses yeux m'évoquèrent à cet instant des puits presque taris et dont on apercevait l'eau basse au fond de sombres murailles. Et sur leur eau ténébreuse, les pupilles éteintes semblaient maintenant les fleurs fanées du lotus. Comme elle ne m'avait rien répondu, je lui promis de revenir, malgré neige et bourrasque, à son premier appel. Elle eut un pâle sourire de remerciement. Peut-être, à cette minute, entendait-elle la reine momifiée lui murmurer : « Il faut me remplacer au sarcophage, ma soeur ! A ton tour de dormir ! » Infiniment ému, car j'avais déjà surpris ces regards d'audelà chez celle qui devait me quitter, j'hésitais à m'éloigner du castel. De nouvelles observations me permirent de conclure que Jenny pouvait encore respirer quelques semaines. Je la quittai donc en lui répétant que rien ne m'empêcherait de remonter à la Sernelhes. Elle me sourit encore. Elle ne pouvait me parler, faute de souffle. ** Un mois s'écoula. Chaque samedi Mascou me remettait une lettre de M. Harberger. « L'état stationnaire de notre malade ne justifie pas les risques d'une ascension à la Sernelhes par ces perpétuelles bourrasques d'hiver, m'écrivait-il. Attendez les premiers beaux jours pour nous voir, docteur. » En somme, il ne manifestait aucune angoisse. C'était stupéfiant ! Une fois que je chargeais le valet-cavalier de mes voeux et compliments pour ses maîtres, il me répondit : - Je leur répéterai cela, lundi, à ma rentrée au castel. Inquiet d'apprendre que Mascou abandonnait pendant deux jours M. et Mme Harberger, je lui en fis l'observation. - Ah ! ma foi I s'écria-t-il avec un mauvais sourire, s'ils me refusaient de passer ma fin de semaine à Massat, pourrais-je tenir dans leur prison des glaces ? Ils devraient chercher un autre homme pour me remplacer et ils ne le trouveraient pas. D'ailleurs Maria leur reste, sauf le dimanche où elle se rend à l'église. Elle en revient assez souvent à temps pour servir leur déjeuner. |