510 REVUE DES DEUX MONDES. mêmes êtres surgissent à nouveau après des siècles et même des millénaires sans en avoir eux-mêmes la conscience, car hélas ! vous ne le nierez pas, le petit-fils ne se souvient pas du bisaïeul qu'il n'a point connu et dont il est pourtant le sang et l'image. Soyez-en persuadé, la vie et la mort ne sont que des phases comme le cycle solaire. Le soleil qui disparaît à la nuit semble éteint à tout jamais ; il ressuscite pourtant à l'aube, et ainsi de suite pour l'éternité. De même, notre mort n'est que l'acte qui nous fait passer sous l'horizon, mais l'esprit veille et pense encore sous la terre. Enfin survient la résurrection des prétendus morts, résurrection aussi certaine que la remontée du soleil à l'aube. L'exaltation de Mme Harberger me faisait un devoir de consentir à tout ce dont elle voulait me persuader. Alors d'une voix assourdie, en vérité presque déjà une voix d'outre-tombe, Jenny, qui ne cessait de considérer avec ferveur la reine égyptienne, ajouta : Un jour, à Deir-el-Bahari, dans un champ de ruines immenses oû se perdaient nos savants, un pressentiment, qui n'était que l'appel évident de mon autre moi-même, me fit conseiller à mon mari de pousser les travaux en un lieu malaisé, vaste éboulis de blocs. Chefs de chantier et terrassiers voulurent abandonner ce déblaiement ingrat, après quelques semaines d'efforts sans résultats intéressants. Mais moi, je prévoyais l'approche d'une grande victoire. Aussi, quand cette reine fut enfin trouvée en son sarcophage inviolé et que mon mari, ébloui de sa découverte, s'écria : « Par quel prodige te ressemble-t-elle ? » je lui répondis que je sentais avoir vécu en Elle, et qu'Elle devait revivre en moi. Il me retrouvait donc une seconde fois. Après m'avoir fait cette déclaration inouïe, toute respiration parut s'arrêter en Mme Harberger, qui dut s'appuyer au sarcophage pour ne pas choir. Je lui fis alors remarquer, avec un air de regret, que son animation l'épuisait. Après avoir toussé, elle me répartit avec un sourire : - Ne craignez rien, docteur, je ne crains rien... et ne puis rien craindre... Son délire commençait à m'inquiéter, lorsqu'elle ajouta : - Je ne mourrai pas, aussi longtemps que mon existence |