REVUE DES DEUX MONDES. malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées à l'insu de ma réflexion. Je fus forcée de les écrire, pour me délivrer de ce frappement fiévreux ; et l'on me dit que c'était une élégie... » Or, qui donc lui a dit cela ? « M. Alibert, qui soignait ma santé, devenue fort frêle, me conseilla d'écrire, comme un moyen de guérison, n'en connaissant pas d'autre. » Alibert l'engageait à écrire et, sans méchanceté aucune, lui procurait l'amour et le chagrin dont elle avait besoin pour écrire. La tristesse d'amour était la muse de Marceline. Alibert, ce dermatologiste, s'entendait en poésie. A vingt ans, il avait publié, dans les Muses provinciales, une « Dispute des fleurs », qui lui valait d'être cité par Rivarol dans son méchant Petit almanach des grands hommes pour l'année 1788. Le lys raillait la tubéreuse, le pavot méprisait l'oeillet, la violette se cachait, la rose réclamait le prix de la beauté ; mais le poète l'accordait à l'immortelle, qu'on ne voit pas naître et mourir du matin au soir. Il avait appartenu à la Société littéraire d'émulation, où les jeunes poètes venaient lire leurs nouveaux ouvrages, et où il lut un Poème sur l'émulation devant une assemblée que présidait le jeune et bientôt célèbre M. Baour-Lormian. Il donne à l'Almanach des muses pour l'année 1799 une Éputre à Sophie sur quelques ridicules : Le croiriez-vous, belle Sophie, Ce monde, objet de votre amour Et dont vous êtes si chérie, Ce monde est une comédie Où chaque acteur vient à son tour Amuser les hommes du jour Des ridicules de sa vie... Après cela, le docteur Alibert se dit probablement qu'il avait assez fait pour les muses et, de leur service, passa au soin des maladies de peau. Mais il garda le souvenir d'avoir été poète, d'avoir cru l'être ; et il avait le goût des lettres. Il n'écrivait pas mal ses Essais de thérapeutiqne, savait la grammaire et, non la poésie, — mais la prosodie, beaucoup mieux que la petite Desbordes. Il put lui donner d'utiles conseils. En 1836, Marceline écrit à M. de Latour qui l'a louée dans la Revue de Paris : « Une fois en ma vie, mais pas longtemps, un homme d'un talent immense m'a un peu aimée jusque-là de.me signaler, dans les vers que je commençais de rassembler, des incorrections et des hardiesses dont je ne me doutais pas... » Qui, cet homme d'un talent immense ? Latouche ! répondent les partisans de |