690 REVUE DES DEUX MONDES. renouveler l'art du paysage, s'ils s'y étaient consacrés. Au rebours des deux caractères classiques : complication dans les lignes, uniformité dans les couleurs, ils cherchent, dans la nature, la simplicité des lignes et la complexité ou la modulation des couleurs. Mais les paysagistes de profession ou les peintres d'histoire qui ont laissé une série complète de paysages, sont très peu coloristes. Poussin, lui, se défendait de l'être. Arrivant à Rome, il avait beaucoup étudié Titien et imité sa manière ; mais, tout d'un coup, il avait rompu avec ce dangereux séducteur, de peur qu'il ne l'entraînât dans le péché, car, disait-il, « l'application singulière à étudier le coloris, est un obstacle qui nous empêche de parvenir au véritable but de la peinture ». La couleur, selon lui, n'est pas le fond de la peinture, non plus que la fabrication des vers n'est le fond de la poésie. Sans doute, si on la maintient au rôle d'auxiliaire de la pensée, elle peut être utile comme « des attraits pour persuader les yeux », mais il n'y a pas à s'en préoccuper beaucoup, car « celui qui s'attache au principal, acquiert, par la pratique, une assez belle manière de peindre ». C'est une réflexion d'homme qui voit les effets surtout en blanc et noir et qui juge que, s'il arrive à les rendre justes, en valeurs, il suffira d'un peu de teinte « locale » par dessus, pour donner l'illusion de la vie colorée, ce qui est vrai. Mais il ne rendra point du tout ainsi les succulences de la matière, ni ces vibrations lumineuses qui ne se traduisent que par des atomes colorés. Il n'en avait cure. Il ne peignait presque jamais ses figures d'après le nu. Des statues, des modèles de cire qu'il confectionnait lui-même pour leur faire jouer les scènes qu'il inventait, et sur lesquelles il observait les effets tournants des ombres et des lumières, des ajustements de toile de Cambrai pour étudier les plis des draperies, quelques morceaux de drap, quelques loques, des chiffons de couleurs : voilà toute sa documentation. Pour le paysage, moins encore : quelques souvenirs et le choix d'une teinte moyenne, ce qu'on appelait le ton « local », qui fit reconnaître à peu près l'espèce d'objet qu'elle revêtait. Voilà ce qu'il étendait sur une toile préparée en brun rougeâtre pour les terrains et en gris blanc pour le ciel. Quant à sa facture, la voici. Il commençait par un bout, et continuait à peindre jusqu'au bout opposé, sans hésitation, sans retour, sans interchange de couleurs, ni réaccord de tons, |