b88 REVUE DES DEUX MONDES. Une loi du paysage classique était que sur le premier plan, ou « terrasse », devait être plaqué un accord grave, pour soutenir l'ensemble de la composition d'abord, et surtout pour « repousser » la lumière au second plan. La loi du repoussoir noir dans le paysage, est aussi rigoureuse, pendant deux siècles, qu'une loi naturelle. Pas un des paysagistes classiques ne s'y est soustrait. On peut la considérer comme l'empreinte indélébile d'une époque sur les productions les plus diverses en apparence et chez les plus indépendants. Car c'est purement l'effet d'une théorie. Les peintres ne l'avaient point du tout observé dans la nature. On n'en voit pas trace, ici près, dans les croquis de Poussin, de Claude Lorrain, d'Ilubert Robert, de Fragonard. Tout au contraire, il arrive que le premier plan est le plus clair : ainsi dans l'Étude d'arbres (n°650) par Poussin, dans la Ricière après la pluie (n°466), entièrement moderne de sentiment, par Claude Lorrain. De même, chercherait-on vainement la moindre indication du repoussoir dans son Étude de château fort (n°4 48), son Étude d'arbres avec divers groupes de personnages (n°453), son Capitole vu du Campo Vaccino (n°462), son Paysage montueux animé de personnages (n°468), sa Villa Ludovisi à Rome (n°49G), son Ile du Tibre (n°500), son Groupe dN ruines (n°501), son Lac de Bracciano (no 505). D'ailleurs, rien dans tout cela ne sent la composition. Approchez-vous de ces sépias ou de ces encres de chine, couleur « marc de café », de ces dessins à la plume d'oie, tachetés de blanc ou de bistre, de ces sanguines ou de ces crayons : vous éprouverez la joie d'un beau métier, d'un faire savoureux et large, vous ne surpuendrez pas la fabrication ou le groupement arbitraire de choses pittoresques. Tout y est probable et l'ensemble est probable également. Ceux qui ont cheminé dans les pays dits « latins » ou « classiques, » depuis notre terre de Provence jusqu'à la Terre de Labour, ont vu cent fois de pareils balancements de lignes, de semblables équilibre de masses, et d'aussi nobles horizons. Retournez maintenant devant les tableaux du même Claude Lorrain : ce premier plan clair des dessins, qu'est-il donc devenu ? Et ce repoussoir noir, formé d'arbres faisant portant sur les côtés et de terrain au premier plan, d'où est-il sorti ? Il n'y en avait nulle part dans les croquis d'après nature, il y en a partout dans les oeuvres peintes à l'atelier. Et lorsqu'il n'est pas très étendu et n'occupe point tout le premier plan, il en |