668 REVUE DES DEUX MONDES. l'abaisser, à l'écraser, à le ruiner dans l'esprit, non seulement de ses contemporains, mais encore de la postérité. Ils avaient pour instrument la Correspondance secrète, qui préparait sournoisement l'opinion, ne se lassait pas de représenter Rousseau comme un fauteur de désordres, et de le couvrir de ridicule. Et ils réservaient pour l'avenir les Mémoires falsifiés de Mme d'Épi nay. Ces mensonges adroitement préparés ont-ils à tout jamais terni la réputation de Rousseau ? Le beau livre si documenté de Mme Macdonald, qui apportait la preuve irréfutable de ces mensonges, n'eut pas le retentissement qu'on était en droit de prévoir. En dépit d'un excellent article d'Émile Faguet, le grand public continue de l'ignorer. Et l'on entend chaque jour ressasser contre Rousseau les éternels griefs puisés à la source empoisonnée des Mémoires. La meilleure réponse à ces attaques, comme l'avaient déjà.compris Musset-Pathay et Streckeisen-Moultou, est la publication de sa correspondance : le lecteur le plus prévenu saisira à toutes les pages, dans les humbles détails'de sa vie, dans l'expression de ses chagrins quotidiens, son absolue bonne foi. ** Rousseau dut se rendre compte de la trahison de Diderot dans l'hiver qui suivit son départ de l'Ermi tage. Diderot l'était venu voir, au plus fort de la querelle, et Jean-Jacques, sans défiance, épancha son coeur meurtri. Aussitôt après, rentré à Paris, Diderot écrivit à Grimm une lettre vraiment abominable, dénaturant les confidences et les sentiments de Jean- Jacques, tels qu'on les connaît par la Correspondance. Cette lettre qui commence par les mots : « Cet homme est un forcené... » cette lettre, absurde à force d'être haineuse : (« J'avais à côté de moi un damné ; il est damné, cela est sûr... ») fit le tour de Paris, par les soins de Grimm. Rousseau, pour toute réponse, se borna à insérer, dans la préface de sa Lettre à d'Alembert, ces quelques lignes qui lui ont été si souvent reprochées par ses commentateurs : « J'avais un Aristarque sévère et judicieux, je ne l'ai plus, je n'en veux plus ; mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus encore à mon coeur qu'à mes écrits. » Suit, en note, un passage en latin de l'Ecclésiastique : « Si vous avez tiré l'épée |