660 REVUE DES DEUX MONDES. Le tome III de la Correspondance nous fait assister, étape par étape, à l'écroulement des plus profondes affections d Jean- Jacques, son amitié pour Grimm et Diderot, son amitié pour Mme d'Épinay, et son douloureux amour. « Il y a longtemps dit-il mélancoliquement, que j'apprends à ne plus mesurer les sentiments de mon coeur sur ceux des coeurs qui me sont chers. » Et le dénouement de ces drames, c'est la solitude quasi totale de Rousseau. 11 la constate, non sans amertume, dans sa dernière lettre à Diderot : « Vous pouvez avoir été séduit et trompé. Cependant votre ami gémit dans sa solitude, oublié de tout ce qui lui était cher. Il peut y tomber dans le désespoir, y mourir enfin, maudissant l'ingrat dont l'adversité lui fit tant verser de larmes, et qui l'accable indignement dans la sienne. Il se peut que les preuves de son innocence vous parviennent enfin, que vous soyez forcé d'honorer sa mémoire, et que l'image de votre ami mourant ne vous laisse pas des nuits tranquilles. Diderot, pensez-y. Je ne vous en parlerai plus. » Quelques semaines auparavant, Diderot lui écrivait, non sans cynisme : « Il est certain qu'il ne vous reste que moi ; mais il est certain que je vous reste. » Diderot, en ce mois de novembre 1151, avait-il encore le droit de s'intituler l'ami de Jean-Jacques ? Il nous parait bien évident que non. Le succès des Discours l'avait-il rendu jaloux de celui qu'il avait aimé et protégé naguère, mais qui avait cessé d'être un musicien obscur, un pauvre copiste de partitions ? Diderot fut-il irrité de la fuite de Rousseau à l'Ermitage, Rousseau qui échappait à l'emprise de l'Encyclopédie et revendiquait son indépendance ? Rousseau refusant de se laisser enrôler dans la secte intolérante des philosophes, et dont il s'agissait, désormais, de ruiner l'influence grandissante, et de détruire le prestige... Toujours est-il qu'en juin 1156, alors que son « ami » venait à peine de s'installer à l'Ermitage, Diderot envoyait à Grimm, pour qu'elle fùt insérée dans la Correspondance secrète, une lettre adressée à un soi-disant littérateur famélique, surnommé Landors, misanthrope et vagabond, et dont « le tempérament, aigri par les disgrâces », était « devenu féroce ». « Avant que d'être misanthrope, voyez si vous en avez le droit. Au |