658 REVUE DES DEUX MONDES. qui fit suivre le texte de la note suivante : « Cette lettre n'a point été envoyée, et je l'ôterais de ce recueil, si je connaissais moins les gens entre les mains desquels il tombera vraisemblablement et qui se garderaient bien de vouloir supposer ni croire que trois feuillets déchirés ne continssent qu'une lettre d'amour. » Cette unique lettre d'amour est déjà une lettre d'adieu. Les paroles chantantes, l'ardente caresse de ces plaintes, nous font regretter davantage toutes celles que l'inutile prudence de Saint-Lambert et de sa maîtresse a supprimées. « Cette flamme invisible, dont je reçus une seconde vie plus précieuse que la première, rendait à mon âme, ainsi qu'à mes sens, toute la vigueur de la jeunesse. L'ardeur de mes sentiments m'élevait jusqu'à toi. Combien de fois ton coeur, plein d'un autre amour, fut-il ému des transports du mien I Combien de fois m'as-tu dit dans le bosquet de la cascade : Vous êtes l'amant le plus tendre dont j'eusse l'idée : non, jamais homme n'aima comme vous ! «... 0 Sophie 1 après des moments si doux, l'idée d'une éternelle privation est trop affreuse à celui qui gémit de ne pouvoir s'identifier avec toi. Quoi ! tes yeux attendris ne se baisseraient plus avec cette douce pudeur qui m'enivre de volupté ? Quoi 1 mes lèvres brùlantes ne déposeraient plus sur ton coeur mon âme avec mes baisers ? Quoi ! je n'éprouverais plus ce frémissement céleste, ce feu rapide et dévorant qui, plus prompt que l'éclair... Moment ! moment inexprimable 1 Quel coeur, quel homme, quel dieu, peut t'avoir ressenti et renoncer à toi ? » Dans les lettres suivantes, il n'est plus question que d'amitié. Une amitié capricieuse et distraite de la part de Mme d'IIoudetot, souvent maladroite et très sermonneuse, prodiguant des conseils sous une forme qui blessait le coeur de Jean-Jacques, et lui parlant continuellement de ses « fautes ». « Ne sauriez-vous concevoir, répondait-il, que j'ai plus besoin de consolation que de reproches ? » I1 arrive à Rousseau de la reprendre avec une rudesse méritée, en relevant les paroles inopportunes : « Je vous crois honnête homme, puisque vous êtes de mes amis. Madame, quelque prix que je mette à votre amitié, j'en mets davantage encore à la vertu ; elle me fut chère avant vous... » «... Et quant au crime et à l'indignité dont vous ne me croirez jamais capable, je vous apprends que ce compliment est dur pour un honnête |