656 REVUE DES DEUX MONDES. droits et les devoirs de l'amitié. Lorsqu'il songe aux malentendus, légers encore, qui s'élèvent entre son amie et lui, un sourire tendre se glisse entre les paroles : il avoue avoir souvent besoin d'être gourmandé ; « un tonde gronderie » lui plaît et lui semble une sorte de « cajolerie de l'amitié ». S'il fait allusion à ses querelles avec Diderot, son ami le plus cher et son confident, une douleur étouffée passionne son accent : « Je m'indigne surtout quand le premier venu les dédommage de moi, tandis que je ne peux souffrir qu'eux au monde... » « C'est à celui qui a commencé la querelle, à la finir... » « En un mot, qu'il commence par m'apaiser, ce qui sûrement ne sera pas long : car il n'y eut jamais d'incendie au fond de mon coeur qu'une larme ne pût éteindre. » « Je n'ai jamais résisté à un mot de douceur... » Lorsque les torts d'un ami occupent sa pensée, rien ne peut le distraire : « Privé de sommeil, je m'en occupe durant la nuit entière ; seul à la promenade, je m'en occupe depuis que le soleil se lève jusqu'à ce qu'il se couche ; mon coeur n'a pas un instant de relâche, et les duretés d'un ami me donnent dans un jour des années de douleurs. » Mot admirable qui éclaire les pages tourmentées de ces lettres où Jean-Jacques constate jour après jour qusil s'est fait de l'amitié une image trop haute, incompatible avec la légèreté, l'indifférence et l'égoïsme inhérents au coeur humain. «... Mon coeur que toute querelle jette dans des angoisses mortelles... » a-t-il dit dans les Confessions. C'est avec ces angoisses mortelles que nous le sentons aux prises d'un bout à l'autre du livre de l'amitié et de l'amour. En tournant chaque feuillet, nous percevons l'écho douloureux de cette parole qu'il écrivait au pasteur Vernes, en mars 1758 : « Ce dont j'ai faim, c'est d'un ami. » L'amitié, selon Jean-Jacques, déborde le tableau si juste, si élevé, si raisonnable qu'il en a brossé à plusieurs reprises, dans ses lettres. Elle a le goût délicieux de l'amour et quelque chose de ses exigences passionnées. Deleyre, le disciple de Jean-Jacques, ne s'y trompait pas, lorsqu'il lui écrivait au sujet des « petites altercations » : « Cependant j'y aperçois, si je l'ose dire, le sublime de l'amitié, et tout ce par quoi elle peut ressembler à l'amour : des reproches sanglants, des duretés amères, des remords, des retours, en un mot, ce qui cimente et redouble l'union. » L'amitié telle que l'éprouve Jean-Jacques est si proche de |