622 REVUE DES DEUX MONDES. face d'un pouvoir qu'appuyaient à la fois la force armée, tous les intérêts matériels et la sympathie de la multitude, et finissant par le faire capituler, demeurera un fait unique dans notre histoire, plus honorable après tout pour ceux qui l'ont soutenue que pour la nation qui s'est décidée trop tard à la comprendre. Je pris parti dans cette opposition et avec une extrême vivacité, d'autant plus grande peut-être que, m'étant vu accusé, comme mon père, par quelques-uns de nos amis d'avoir pactisé avec l'usurpateur pendant qu'il méditait son coup de main, je tenais à me justifier du soupçon de connivence. Puis la fàcheuse expérience de 184.8 ne m'avait pas enlevé ma foi d'enfance dans les principes libéraux et`les exils arbitraires : les commissions mixtes de magistrats et de militaires instituées dans le Midi pour juger les révoltés, et les fusiller après cet examen sommaire, me scandalisaient sincèrement. Depuis lors, et en face du régime bas et violent qui a succédé à l'Empire, j'ai dù me demander si notre opposition à ce régime avait été bien motivée ; et si, à tant faire que de finir par le regretter quelquefois, il n'aurait pas mieux valu s'en accommoder tout de suite. Réflexion faite, je ne crois pas que nous ayons à nous faire ce reproche. Le Président, qui depuis a montré certainement des talents politiques qu'on ne lui soupçonnait pas, n'était encore alors qu'un aventurier heureux, profitant d'un grand souvenir. Son entourage était composé d'un ramassis d'hommes tirés de la lie de tous les partis. Lui livrer sans condition, sans contrôle, toutes les forces du pays, c'était une abdication qui n'eût été ni digne, ni patriotique. On était responsable des aventures qu'on l'aurait aidé à faire courir au pays, et des catastrophes qui en pouvaient sortir. En définitive, ces aventures ont eu lieu ; après avoir bien tourné, au premier tour de la loterie, elles ont bien fini par amener la catastrophe que nous redoutions. Il n'y a point à regretter de n'y avoir trempé ni de près, ni de loin, pas même en acceptant trop facilement d'en courir les chances. Seulement, ce dont je dois convenir c'est qu'en déclarant la guerre, à mort, comme nous le fîmes, au régime impérial, nous ne nous faisions qu'une idée très confuse de ce qui pouvait le remplacer, et nous lie nous doutions même en aucune manière de la physionomie que prendrait la France le jour où, |