606 REVUE DES DEUX MONDES. tures de Boulogne et de Strasbourg. Mais il ne suffit pas en ce monde d'avoir raison, il faut que le public en convienne, et se prête à ce que la raison conseille : La légitimité avait malheureusement très peu de popularité en France. Si on la mettait en lutte contre celle de Bonaparte, quel moyen aurait-on de la faire prévaloir ? Par les élections ? Louis Bonaparte tenait le suffrage universel qui l'avait élu. Par la force ? Mais quelle force, et où la prendre en face d'un chef d'État qui avait toutes celles de la France entre les mains ? On ne voit pas comment les légitimistes pouvaient espérer voir sortir la monarchie de la crise à peu près fatale à laquelle nous condamnait la Constitution de 1848. Ils semblèrent du reste le reconnaître eux-mêmes, car, après avoir quelque temps combattu le projet de revision, ils finirent par se rendre à l'idée de voter, non la revision elle-même, ce qu'on ne leur demandait pas, niais la convocation d'une Assemblée chargée de la faire, sous la seule condition qu'il leur serait permis d'annoncer l'intention de proposer à cette Assemblée, dotée de la faculté constituante, le rétablissement de la monarchie, et effectivement, quand la discussion eut lieu, M. Berryer fit en leur nom un admirable panégyrique de l'institution monarchique, qui reste un des grands modèles de l'art oratoire, après quoi tous ses amis votèrent le principe de revision, tout en sachant parfaitement que, si elle était adoptée, ce ne serait pas la monarchie qui en sortirait. La réserve qu'ils mettaient à leur vote, n'empêchait pas qu'ils aidaient à franchir l'obstacle, et c'est au fond tout ce qu'on leur demandait. Le véritable empêchement vint du côté où on devait le moins s'y attendre. S'il y avait une fraction de l'Assemblée qui n'eùt aucune chance do voir sortir de la crise la solution qu'elle pouvait désirer, c'était le groupe d'hommes, assez faible à la vérité, mais important cependant encore plus par la qualité que par la quantité qui restaient attachés à la maison d'Orléans, et n'avaient pas désespéré de voir renaître l'établissement de Juillet. Ceux-là, et dans le fond de l'âme j'étais du nombre, — n'avaient pour l'heure présente absolument rien à présenter au pays. Un vieux roi, que sa chute n'avait pas grandi, une femme et un enfant de dix ans, comment espérer qu'une nation qui venait de sentir le sol trembler sous ses pas, encore affolée de terreur, et affamée d'ordre et d'autorité, irait cher- |