598 REVUE DES DEUX MONDES. talembert, alors dans une veine pleinement réactionnaire, que je devins le héros de la soirée. I1 me prit à part après le dîner, me développa les principes de la loi nouvelle et les motifs de s'y rallier, et ce fut le commencement entre nous d'une liaison qui a tenu une grande place dans ma vie, et, malgré quelques orages, n'a fini qu'avec la sienne. Un autre intermédiaire de cette réconciliation, qui est devenue une amitié politique si intime, fut le jeune marquis de Moustier, mari d'une autre Mérode, par là beau-frère de Werner, et cousin de Montalembert, député comme lui à l'Assemblée pour le département du Doubs. Ces relations communes nous ayant rapprochés, je pris beaucoup de goût pour l'esprit vif et original qui distinguait alors ce jeune royaliste élevé dans de tout autres opinions que celles que j'avais puisées dans mon milieu doctrinaire et constitutionnel. Nous nous trouvâmes d'accord sur la manière d'envisager la situation, et je ne sais ce qui nous suggéra la pensée de rédiger en commun un petit journal hebdomadaire, appelé, je crois, le Messager de la semaine, dont nous voulions faire l'organe de la partie de la majorité conservatrice qui se rapprochait le plus de notre manière de voir. Cette tentative ne fut pas très heureuse, nous n'eùmes pas beaucoup de lecteurs et encore moins d'abonnés. En général, je dois confesser que mes essais de fonder ou de faire marcher un recueil périodique n'ont jamais répondu à mes espérances. Je ne suis évidemment pas né pour être journaliste. Est-ce à mes défauts ou à mes qualités que je dois attribuer cette incapacité ? Toujours est-il que j'en ai fait plus d'une fois l'expérience aux dépens de ma réputation et surtout de ma bourse. Le journal finit assez obscurément dans la dernière année de l'Assemblée, au moment où commençait à se manifester entre Moustier et moi une dissidence, qui fait que, pendant que j'ai vieilli dans l'opposition à l'Empire, mon compagnon d'armes devenait sénateur, ambassadeur, et enfin mourait ministre des Affaires étrangères, sans que j'aie pu le revoir pendant les années de sa grandeur, ni même lui serrer la main à son lit de mort. Ceci m'amène à expliquer comment, étant assez d'accord pour rédiger un journal en commun, au commencement de l'année 1851, nous fùmes avant la fin de cette année même assez séparés pour n'avoir pu dès lors jamais nous rejoindre. |