i 2 REVUE DES DEUX MONDES. Nous n'ignorons pas l'objection ; il est impossible, à Reims, dit-on, de séparer l'architecture de la sculpture, car les deux arts s'y pénètrent, corn me nulle part ailleurs ; portails, roses et contreforts sont conçus pour servir de points d'appui à l'oeuvre des imagiers ; pinacles, dais et voussures attendaient ce vol d'anges qui, après avoir tournoyé au-dessus de la plaine de Champagne, est venu s'abattre sur la cathédrale et y chanter les louanges de la Vierge dont le grand portail raconte la vie et exalte la gloire ; et comme pour remercier l'architecte de leur avoir préparé de si charmants abris, de leurs ailes éployées ils se chargent de rompre la ligne verticale des contreforts ; l'édifice ne peut donc se passer de ces innombrables sculptures qui, selon la juste expression de 11I. Émile Mâle, la recouvrent d'une tenture de pierre. Elles n'en sont point l'ornement, elles sont l'édifice même (1). Cette considération est si forte que, dans une séance de l'Institut, M. Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, formulait ainsi les projets de son administration : « Il pout paraitre nécessaire de reconstituer les figures placées à grande hauteur dont le profil ou la masse importe à l'effet d'ensemble. Des modèles et des moulages permettront le plus souvent des restitutions fidèles... Ce serait folie au contraire que de rendre au portail de Reims ses statues incendiées. » Oui, ce serait folie ; mais ne serait-il pas imprudent, même pour les statues placées à grande hauteur, d'accepter trop facilement l'idée d'une restitution ? Beaucoup de nos monuments ont, au cours des siècles, perdu des sculptures dont l'absence nuit à « l'effet d'ensemble », et qui, souvent, sont venues échouer dans des musées : qui songe à les remettre à leur place, ce qui serait naturel, ou bien à les remplacer par des copies, ce qui serait inutile ? Prétend-on abolir les souvenirs des guerres ou des révolutions dont ces statues furent victimes ? La cathédrale a été incendiée en 1911, pendant quatre ans elle a été bombardée : n'effaçons point toutes les traces du vandalisme ; les statues brùlées, ou broyées, ou décapitées du grand portail n'en doivent pas être les seuls témoins : que le forfait reste visible dans toutes les parties du monument 1 Un pareil débat est, du reste, tout platonique : les réparations de l'architecture sont trop peu avancées pour qu'on puisse dès (1) Sur la statuaire de Reims, voir dans la Revue du 1r novembre 1918, un bel article de M. Louis Gillet, la Cathédrale martyre. |