348 REVUE DES DEUX MONDES. algérien, j'ai agrément à réagir contre la terre, la lumière et l'être, à ne plus vouloir apprécier les hommes tels qu'ils sont, à m'enticher de maquillage, de travesti, de chiqué. Je me joue sans cesse la comédie à moi-même : brute dans mes instincts, je me contrains à paraître homme de goût, et j'y tiens tellement que je compose des livres, pour mieux me le prouver. Paysan grossier, je m'accommoderais sans ennui du gourbi de mes Berbères, et j'ai peiné pour m'habituer à vivre dans le luxe. A la moindre occasion, je rejette loin de moi le poids des civilisations européennes et le sauvage ressuscite... » Ainsi parle Cassardle-Berbère, qui ressemble comme un frère à Randau l'Algérien. A ces incohérences et à ces contradictions, qui, chez lui, déconcertent le lecteur pressé ou superficiel, s'ajoute, pour achever de l'ahurir, un manque total de composition, j'entends la composition traditionnelle, telle que la pratiquent la plupart de nos romanciers. Cette composition-là, remarquonsle bien, n'est nullement la composition classique, celle des grands écrivains de l'antiquité. Un romancier qui composerait aujourd'hui comme Virgile, serait accusé de s'égarer dans les hors-d'oeuvre : à plus forte raison quelqu'un qui composerait comme, Apulée, en son Ane d'or. Robert Randau est certes plus près de la manière apuléenne que de la manière virgilienne. Il a un beau dédain pour les histoires ; qui ont un commencement, un milieu et une fin et pour toutes les ficelles du roman romanesque et de la « scène à faire ». Tout ce qui sollicite ses pinceaux, sa verve, sa curiosité, sa sensualité, son enthousiasme, il s'y précipite fougueusement et plante là son récit, qui, d'ailleurs, n'y perd rien. C'est la joyeuse aventure avec ses zigzags et ses caprices. Mais, en suivant un tel guide, on est toujours sûr d'arriver quelque part. Au surplus, cette esthétique est-elle si loin de celle de Goethe qui répondait à ceux qui ne voyaient dans Faust que des morceaux juxtaposés : « Quand je n'aurais fait qu'assembler de beaux fragments de vie, il me semble que je n'aurais pas perdu mon temps. » Randau, de son côté, écrit : « Notre vie 1 mais, partout, c'est quelque chose d'immense ! Et c'est pour cela qu'une oeuvre gorgée de nous est gorgée de beauté, et est éternellel.. Un galope-fricot imbécile, en mal de critique, me reprocha un jour d'écarter, de propos délibéré, toute intrigue de mes livres ! Ely ! bon Dieu ! mes bougres sont assez drus tels qu'ils sont pour ne point s'embarrasser d'arti- |