316 REVUE DÈS DEUX MONDES : tout égoïstes. Bien loin d'agir sur eux, ce sont eux qui agiraient sur nous, en nous fournissant, sans le vouloir, des enseignements fort salutaires. Et d'abord, en nous obligeant à prendre les sentiments et les idées qui conviennent à des maîtres. Nous devons traiter nos sujets, comme ils le méritent et comme il sied, sans utopie, sans vaine sentimentalité. Randau illustre cette méthode d'une façon toujours un peu paradoxale, mais bien amusante. Il nous présente ainsi un de ses héros, « Carbon de Carbone, chef de deux cents chenapans poilus et de rude gueule », lequel obtint de la manière suivante la soumission Cane contrée, dont les chefs hésitaient entre la tutelle de la France et celle de l'Angleterre : « A qui voulez vous obéir ? leur demanda-t-il : à des guerriers ou à des marchands ? Les guerriers n'obéissent qu'aux guerriers ! proclama l'assemblée. Je m'attendais à une réponse honorable de la part de braves de votre espèce. Or les Anglais sont des marchands 1 Ils ont aussi des soldats, objecta un vieux. C'est vrai ! Ils les engraissent à ne rien faire. Mais voici la preuve qu'ils sont des marchands : lorsqu'ils viennent vous visiter, ne vous soldent-ils pas, en espèces sonnantes et trébuchantes, ce dont ils ont besoin ? En effet ! Donc ils se comportent en marchands. Au contraire, quand je suis arrivé dans votre pays, je ne vous ai rien acheté, rien vendu. Je me suis emparé, dans les villages, de ce qui était nécessaire à un guerrier de ma race. Aux mécontents, je montrai mes fusils : un guerrier ne paie jamais rien. Ma conduite n'était-elle pas celle d'un guerrier ? — Tu as raison, tu es un mâle : c'est avec toi que nous signerons le traité 1... » La conclusion de cette très vraisemblable anecdocte, il me semble que je la trouve un peu plus loin dans les lignes que voici : « Ce sont des hardiesses de sous-lieutenants, qui nous ont donné notre empire sud-saharien. Soutenus par les gens du quai d'Orsay, nos explorateurs nous eussent fait cadeau de la moitié de l'Afrique... » Audace, initiative, énergie entretenue et guidée par un ferme bon sens, voilà les qualités que le voisinage toujours redoutable de l'indigène impose à un chef colonial. Avec cela, il y faut l'égalité et le détachement d'une âme qui est prête à tout. S'il n'y atteignait pas de lui-même, la nature et les hommes qui l'entourent se chargeraient bientôt de lui apprendre ces vertus et, au premier rang parmi elles, le mépris de la mort : |