3t0 REVUE DES DEUX MONDES. guettent le voyageur... » Ou encore : « Tombouctou : une masse brune de glaise écrasée sur une éminence de sable ocreux, que cernent de maigres arbustes épineux... » Sur cette terre ingrate, au ciel bas, à l'atmosphère lourde et suffocante, une humanité dégénérée ou stagnante, le Noir, avec ses ruses, ses traîtrises, ses cruautés et ses superstitions sataniques où bestiales, tout son abrutissement. Le voyageur ou l'administrateur colonial trouve-t-il au moins quelque consolation du côté des siens ? Mais le blanc ne vaut guère mieux que le noir. Affaibli, détraqué et démoralisé par le climat, il est trop souvent une loque, physiquement et moralement. Dans son roman, le Chef des Porte-Plumes, Randau a buriné un portrait féroce, et évidemment poussé au noir, du fonctionnaire européen en pays colonial. Parmi ces ronds-de-cuir aveulis et minés par toute espèce de vices, parmi ces malades et ces pourris, surgissent parfois des êtres admirables, des volontés énergiques et dominatrices, des âmes de toute sainteté et de toute beauté. Mais, même ceux-là ne sont point à l'abri des déchéances et des fatalités qui guettent l'Européen en ces terribles pays, où une volonté humaine est si peu de chose contre tant d'ennemis conjurés. Et c'est pourquoi l'auteur des Terrasses de Tombouctou a osé écrire, en tète de son livre, cette dédicace d'une affreuse et navrante ironie : « Aux mânes des héros, de la conquête civilisatrice, morts alcooliques, en Afrique occidentale française, martyrs de leur idéal. » Mais toutes ces critiques violentes et exagérées de parti pris, ces cruautés descriptives auxquelles le génie outrancier et combatif de Randau se complaît, ne sont en quelque sorte, chez lui, que des précautions oratoires, ou les explosions d'un Lem- pérament vigoureux, qui a besoin de cogner dur, qui éprouve une réelle délectation à cogner dur. Cette virtuosité belliqueuse mise à part, on dirait qu'il tient à avertir le lecteur qu'il n'a aucune illusion sur les pays et sur les êtres qu'il nous décrit sans pitié, et que, malgré tout, il aime et admire de tout son coeur. Oui, malgré tout, il est fasciné par cette Afrique barbare, inhospitalière, meurtrière et, trop souvent, décevante. C'est d'abord le charme inexplicable de l'aventure, la dangereuse aventure africaine. On part, sans bien savoir ; pourquoi, pour la beauté du risque, pour frôler au passage mille périls et la mort peut-être, pour avoir de l'espace |