308 REVUE DES DEUX MONDES. qui résulte de tous ces éléments amalgamés. Mais ce vocabulaire si riche, qui rappelle en plus riche encore celui d'Apulée, est, aux mains du prosateur néo-africain, un instrument d'analyse et d'inquisition littéraires vraiment merveilleux, un moyen d'expression d'une souplesse, d'une complexité et d'une pénétration peu communes. Muni d'un tel truchement, qu'est-ce donc que nous raconte de nouveau cet écrivain venu des profondeurs les plus vermeilles de l'Afrique et les plus noires de la Nigritie ?... *** Cet Africain, qui aspire littérairement à se rebarbariser, est, malgré tout, un civilisé qui a des nerfs. Il commencera donc par nous dire copieusement, et de la façon la plus subtile, tout ce qu'il a souffert du climat, comme du milieu colonial et équatorial, les ennuis, les « embêtements », les exaspérations, les tortures, qui viennent des hommes, des chefs, de « l'administration », du sol et de l'atmosphère... Voici, par exemple, de bien déprimantes impressions sénégalaises : « L'air est si imprégné d'humidité qu'il paraît sirupeux. L'atmosphère est une éponge. L'Européen respire avec peine ; des sueurs abondantes inondent son corps ; ses doigts, lorsqu'il écrit, laissent des traces mouillées sur le papier ; il est mal à l'aise, debout et oppressé, couché ; l'impression de soif domine l'instinct ; l'estomac se refuse à la boisson ; le novice éprouve, pendant les heures chaudes, de constantes envies de vomir ; ses reins sont douloureux, ses jambes sans force ; son ventre se ballonne. Les orages qui déchirent le ciel sursaturé dl)électricité ne rafraîchissent point l'homme. La pluie tombée, il s'élève du sol une buée tiède qui fait foisonner la vie exubérante et abolit le courage du civilisé... Aux repas, le coeur se soulève de dégoüt devant les mets. Malgré piments, kakis, poivres divers, l'Européen ne secoue pas la torpeur de son appétit... » Et un peu plus loin : « Pour le blanc de la cité tropicale, l'hivernage est la saison de peur. Il redoute la fièvre jaune, la peste et la bilieuse. Il guette le départ des paquebots, qui, cap au Nord, se rendent en Europe. Le foie pesant, il soupire : « J'en ai encore pour deux ans ! Arriverai-je au jour béni de la retraite ?... » Et, traînant la jambe, il regagne lentement sa |