304 REVUE DES DEUX MONDES. ni aucun ressentiment à l'indigène. Tout en sachant le prix de notre civilisation, nous ne devons pas mépriser le vaincu parce qu'il n'y participe point, et cela par politique autant que par raison, par sage défiance de nous-mêmes. Nous devons même essayer de lui emprunter ce qu'il a de meilleur et, dans une certaine mesure ou certaines choses, prendre modèle sur lui. N'est-il pas utile enfin de nous mettre à sa place, pour critiquer les abus ou les lacunes de cette civilisation occidentale dont nous sommes si fiers, et, par exemple, pour juger de haut l'industrialisme de l'Anglo-saxon ? Làdessus, Lecoq et Hagel ont des idées très nettes et très arrêtées. Tout leur roman, l'Empire du monde, n'est qu'un long réquisitoire contre l'impérialisme mercantile de l'Anglo-saxon : « Les Anglais, écrivent-ils, ne savent rien des races qu'ils soumirent et qu'ils méprisent, dont ils s'attirent la haine inexpiable, je ne sais si c'est plus par la rigidité de leur domination que par la superbe de leur attitude. Ce sont des égoïstes, des marchands orgueilleux. Leur écrivain représentatif, hipling, a célébré les races supérieures, la loi hiérarchique. En quoi les laides femmes du Devonshire avec leurs pieds plats, leurs lunettes et leur triste âme luthérienne valent-elles mieux que les jolies filles de l'Inde ? En quoi l'épais dévoreur de rostbeaf de Cardif ou de Manchester, qui mange, boit, dort et travaille comme une brute, est-il. supérieur au pauvre fellah d'Égypte qui regarde le ciel et qui songe à Dieu ? Ils ont acheté le monde avec le confort, les épingles de sùreté et les plumes à bec d'acier... » Je ne suis pas aussi sûr que nos auteurs de la supériorité de la dame indoue ou du fellah égyptien. Mais je puis m'associer à eux, comme n'importe quel musulman, pour la critique que voici : « La mécanique avait fait naître des besoins factices. Ployés sous ces servitudes nouvelles, abrutis par l'automatisme des métiers et limités par les spéculations techniques, plus que jamais les hommes étaient des esclaves, créatures de plus en plus dépouillées de toute conception d'ensemble, sans grandeur ni noblesse, atrophiées et châtrées de leur capacité de synthèse. C'étaient là les civilisés, les foules accumulées dans des cités géantes et qui rapetissaient l'homme et Dieu et la grandeur de vivre à la mesure de leur nullité ! De par l'imbécile dévoiement de la science, la civilisation trouvait son |