302 REVUE DES DEUX MONDES. plus loin, pour vivre toujours plus intensément, comme ces vieux routiers de la Légion d'Afrique, sur lesquels Lecoq et Hagel ont écrit l'admirable page que voici, hymne « héroïque et brutal » qui a l'allure et l'accent d'une Marseillaise... Ces légionnaires : « des hommes terribles, non des paysans déguisés, ou des citadins aveulis, mais des soldats. L'arme au poing, l'insulte aux dents, partout au monde, ils s'étaient battus, au Congo, au Tonkin, sur les arroyos du continent mystérieux, ou la vase putride des lagunes. Dans les pagodes aux toits pointus, que garde, aux angles, le sourire grimaçant des Boudhas, dans les murs croulants, derrière les palissades de bambous, ils avaient subi des sièges, souffert la soif torturante et la vermine qui grouille. Au pays des Jaunes subtils et chez les noirs aux cruautés candidement énormes, partout ils avaient saccagé, brûlé, tué. Pour l'entreprise folle, la marche à la mort et le sacrifice, sur un signe, à toute heure on les trouvait prêts. Autant que leurs corps étaient groupés, leurs esprits étaient solidaires. D'avoir même haine, même amour et même instinct cela les faisait pareils, unis comme des molécules de terre clans une motte. Des hommes terribles : une élite, ceux sur qui s'usèrent toutes les pestes et toutes les maladies : les fils de l'aventure et de la mort... » Et pourtant ceux qui écrivent ces lignes féroces ne peuvent pas oublier qu'ils sont, eux, des fils de France, les rejetons d'une race généreuse, qui a horreur de détruire, qui ne conquiert que pour civiliser. Leur rêve secret d'idéalistes irréductibles, ce serait de conquérir les âmes : tâche, en apparence décevante, tellement les obstacles sont formidables 1 Eh bien, quand même ! En dépit de tout, malgré des échecs cent fois répétés, malgré les sarcasmes, trop souvent justifiés, hélas 1 contre l' « assimilation », la « collaboration fraternelle », la « pénétration pacifique », toutes formules qui ont l'air de bonnes utopies, ils ne se découragent point, ils ne veulent pas s'avouer vaincus dans leur fraternel effort civilisateur. Ils osent le dire : « L'assimilation 1 Ce rêve qui pourrait devenir une réalité ! Quelle force pourrait y puiser la France, renouvelant ainsi son sang, tous les millénaires, se renforçant de vitalité neuve pour les luttes à venir ! Ces êtres frustes, somnolant dans la torpeur de l'Islam, retrouveraient à leur réveil le même génie qui a fait la gloire de leurs lointains ancêtres. Ils |