268 REVUE DES DEUX MONDES. vaste maison, appuyée au bras de la Mion qui pleurait. Elle s'arrêta un moment sur la terrasse, les yeux fixés vers les grands horizons de la Double, et elle ne prononça aucune phrase qui révélàt son chagrin. Toujours, elle avait montré, dans son caractère, une tendance à la misanthropie. La vieillesse la rendait plus dure, plus détachée. Le caractère Dupouy se marquait en elle, fortement, et même sa grande affection pour Alexandre s'était amortie. On crut qu'elle n'aimait plus rien au monde, que l'argent. Mais les cinquante mille francs qu'elle toucha, sa maison étant vendue à M8 Patoiseau, n'enrichirent ni elle, ni ses héritiers. Personne, sauf, le général Lapeyrade, ne sut qu'en se dépouillant de tout, Mme Lapeyrade avait payé la dette de Joseph, et lavé la honte que n'avait pas lavée le sang du malheureux. Elle s'en fut, sans émotion apparente, vers le refuge qu'elle avait choisi, un très pauvre petit couvent qui recevait des dames pensionnaires. Elle y vécut, comme une religieuse, ne sortant plus, ne recevant personne, ne parlant jamais d'elle-même. Quelquefois, le comte et la comtesse Lapeyrade venaient la voir, en allant à la Chaubille où l'oncle Valmont Dupouy achevait son existence d'égoïste, parmi ses bouquins, dans un désordre qu'Alexandre respectait. La pieuse jeune femme révérait cette belle-mère majestueuse, qui lui mettait au front un baiser glacé. Elle mourut, en 1845, saintement, dirent les nonnes, qui la regardaient comme une mère inconsolable. Alexandre Lapeyrade n'eut pas d'enfants. La grosse fortune qu'il amassa, sous le Second Empire, passa tout entière à des cousins de sa femme. L'un d'eux, vers la fin du xIxe siècle, fit démolir la Chaubille et construisit sur la place une usine d'électricité. MARCELLE TIN'AYRE. |