258 REVUE DES DEUX MONDES. - Mon Dieu !... Sa volonté fléchissait déjà devant la menace. Elle murmura : - Je dois porter la tisane à madame. Je lui conter'ique je n'ai point poussé les verrous, afin qu'elle ne s'étonne pas du bruit, et ainsi, je vous ferai entrer..., Ah ! Sainte Vierge ! Elle sonne... Le tintement de la clochette retentit, tellement impérieux, que la Mion répondit, comme si Mme Lapeyrade était tout près : - Oui... oui... J'arrive, madame. Joseph Lapeyrade, balbutiait : Je n'ai plus de force... La Mion versa de l'eau-de-vie dans un verre qu'elle passa, entre les barreaux, à l'homme défaillant. - Tenez, ça vous réchauffera... Et patience 1 Je reviens. Au bout du fil de fer, la clochette secouée continuait sa danse folle. Ce vacarme affola Mion. Elle faillit renverser la tisane et le plateau. La nuit avait absorbé Joseph Lapeyrade. De toute la force de ses vieilles jambes, la servante grimpa l'escalier. Mme Lapeyrade n'était pas encore au lit. Elle avait enlevé sa coiffure, remplacée par le bonnet de nuit à passe tuyautée. Sa robe, déboutonnée, lui glissait des épaules. - Ah ! te voilà ! J'allais descendre... - Descendre ? Pour attraper la mort 1... - Qu'est-ce que tu faisais ? Le feu ne voulait pas brûler et l'eau ne voulait pas bouillir... Enfin, la voilà tout de même, cette tisane. Elle est au goût de madame, bien sucrée et surtout bien chaude. - Je la prendrai quand je serai au lit. Attends 1... Où vas-tu ? Je... - Qu'est-ce qui te presse ? - Rien. Tu sembles une fille qui soupire pour rejoindre son galant. C'est que... la porte sur la rue n'est pas fermée. - Comment ? - Pas fermée aux grands verrous. - Eh bien ! tu la fermeras dans un moment... Défais mes chaussures 1... Donne-moi mes pantoufles... Tu as peur, sotte bête ? De qui ?... De quoi ?... Du loup-garou peut-être, ou de la chasse volante ? |