468 REVUE DES DEUX MONDES excellent vient d'en retracer l'histoire. Puisse-t-il en réveiller le goût avec le souvenir (4)1 Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais, Font d'une mort récente une vieille nouvelle. Voilà six semaines déjà que mourut Jean de Reszké. Mais il n'est pas trop tard pour parler encore de lui. Ici même, il y aura bientôt quarante ans, après la première représentation du Cid de Massenet à l'Opéra, nous saluâmes ses débuts éclatants. C'est ici que nous tenons à lui rendre aujourd'hui notre derniur hommage. Le grand artiste que nous annoncions naguère, Jean de Reszké le devint tout de suite, plus grand de jour en jour, de rôle en rôle, et même le plus grand qu'aient entendu les gens de notre âge, le plus digne non seulement d'admiration, mais d'estime et d'amitié. Depuis sa mort nous avons, en mémoire de lui, feuilleté les chefsd'oeuvre dont il fut l'interprète. En chacun de ses personnages nous l'avons évoqué tout entier. Sa voix d'abord, dont on aurait pu dire Comme de celle dont Musset pleurait la perte : C'est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive, Que nul autre que toi ne nous rendra jamais. Un philosophe de chez nous a très bien défini la musique le rapport entre les belles forces du son et les belles forces de l'âme. Aucun chanteur n'a compris et senti cette correspondance mystérieuse, aucun ne l'a fait sentir et comprendre mieux que Reszké. Musicien accompli par l'intelligence, il l'était aussi par l'amour. L'esprit et l'âme de la musique, de toute musique, habitait en lui, rayonnait hors de lui. Reszké chantait, comme il les parlait, toutes les langues. Aussi bien son chant n'était que la forme supérieure de la parole et, pour ainsi dire, la parole elle-même exaltée. Quant à notre parole à nous, la parole française, pas un des nôtres ne l'a déclamée, prononcée mieux que cet étranger. Pas un ne lui donna plus de puissance ou de charme. Les Comédiens-Français eussent pu lui dire comme Talma jadis à Nourrit : « Si jamais vous perdez la voix, la voix qui chante, venez chez nous. » Le verbe était le principe et la fin de son art. A chaque mot il donnait la plénitude du sens, à chaque note la perfection du son. (I) Le cantique populaire en France, par M. Amédée Gastoué ; 1 vol. Lyon, chez Tanin frères. |